Tout avait bien commencé. Au lendemain de municipales triomphantes, et à la veille d’élections européennes qui pourraient l’être encore plus, le Front national fêtait Jeanne d’arc sous un beau soleil printanier en ce 1er mai. Les visages étaient radieux, les gens nombreux. Puis Jean-Marie Le Pen a pris la parole, et le ciel s’est déchaîné. Des trombes d’eau qui ont fait fuir nombre de militants, mais n’ont pas gâché la fête pour autant.
"Ça va être une super belle fête". Dès 8 heures, les Jeunes du Front national sont présents en masse rue de Rivoli, dans les quartiers chics de Paris. Julien Rochedy, leur patron, distribue les consignes. Un jeune se fait enguirlander parce qu’il ne brandit pas assez haut son drapeau français. "Ça va être une super belle fête", nous glisse quand même, tout sourire, le directeur du FNJ, très affairé.
La rue se remplit à vue d’œil. "On va être au moins 100.000 !", s’enflamme déjà Colette, une retraitée de l’Oise qui ne rate pas un défilé du FN "depuis au moins 20 ans". On se calme Colette, la préfecture de police parle de 5.300 personnes présentes quand le FN en revendique 20.000. Partout, les drapeaux français et anti-européens - distribués gracieusement par le FN - s’agitent. La Marseillaise retentit. Une fois, deux fois, trois fois, puis laisse la place aux vieux classiques du défilé frontiste du 1er mai : "Bleu, blanc, rouge ! La France aux Français", "on est chez nous", "ni droite, ni gauche, Front national".
"Bouge de là avant que…" Écharpe tricolore en évidence, Jean-Jacques Adoux a le sourire. Maire FN de la petite commune du Hamel (Oise) depuis 2008, il est "fier de voir que nos compatriotes ont compris que nous étions un parti comme les autres. Maintenant, la prochaine étape, c’est 2017 !" La présidentielle, les militants y pensent tous, et en parlent volontiers : "elle va le faire !", "Marine à l’Elysée", "ils ont tous échoué, laissez-nous tenter notre chance". "Gilbert Collard, notre futur Premier ministre !" On lui rapporte l’anecdote un peu plus tard : "j’espère que la France sera en meilleur état alors, sinon je vais avoir vachement de boulot", s'amuse l’avocat.
A écouter ces militants enfiévrés, seule une chose pourrait empêcher "la belle Marine" de conquérir le pouvoir : les médias. "Vous lui cherchez toujours la petite bête, alors que les autres sont bien pires !", balance Evelyne, apprêtée comme pour aller au bal. "Vous ne parlez de nous qu’en mal", enchérit son voisin, ceint dans un drapeau tricolore, un gobelet au fort goût d’anis à la main… Un autre refuse de nous répondre, et son copain se fait presque menaçant : "bouge de là avant que…" On en rangerait presque notre carnet. Mais non.
"Sales putes, retournez en Ukraine". Il est 10 heures, les Le Pen sont arrivés sous les vivas - et sous haute garde -, la bannière est prête, le cortège peut s’ébranler. Mais des cris se font alors entendre : "non à l’union fasciste !" Des Femen font irruption, maitrisées et expulsées manu militari par le (toujours zélé) service d’ordre du FN. "Sales putes, retournez en Ukraine", décrypte finement notre voisin de droite. Et ce n’est pas le plus vulgaire. Plus tard, on croise Bruno Gollnisch. "J’ai trouvé ça très drôle ! Moi j’étais très content, surtout que c’était une jeune femme plutôt plantureuse. On a même gardé son chemisier en souvenir", se marre le député européen. Et son conseiller de montrer le chemisier en question.
L’incident clos, le cortège avance. Sans Jean-Marie Le Pen, qui s’est éclipsé très rapidement. Marine, elle, est évidemment en tête, entourée de sa garde rapprochée : Steeve Briois, Louis Aliot, Nicolas Bay, Gilbert Collard et sa nièce Marion… Même Jean Roucas est venu.
Avec Jean Roucas :-) pic.twitter.com/BJPXrl9QfS— Florian Philippot (@f_philippot) 1 Mai 2014
"Ça fait pas très sérieux ça par contre", regrette Philippe, électricien venu d’Angers pour l’occasion. Les photographes - pros et amateurs - se régalent. Et se bousculent.
"Bon, c’est quand qu’elle parle Marine ?" Vers 11h30, la foule arrive enfin place de l’Opéra. Avant son discours, Marine Le Pen fait une pause café à "L’Entracte". Ça ne s’invente pas. Les gens trépignent. "Bon, c’est quand qu’elle parle Marine ?", demande une fillette à sa maman. Bientôt, jeune fille. Julien Rochedy fait acclamer à la tribune l’ensemble des nouveaux édiles frontistes. Cyril Nauth, premier maire FN d’Ile-de-France, est de la partie. "Je suis très très fier, ému. La dynamique est belle, l’enthousiasme est là, et la prochaine étape, c’est 2017", glisse-t-il à Europe1.fr. Puis c’est au tour des têtes de listes aux Européennes d’être présenté au public. Florian Philippot, tête pensante de Marine Le Pen, l’emporte largement à l’applaudimètre. Et Jean-Marie Le Pen arrive…
"C’est la première fois que je le vois en vrai", s’excite un jeune homme, casquette vissée sur la tête. "Il est encore bien pour son âge", rougit une femme. Le fondateur du FN prend le micro, au son de "merci Jean-Marie". Mais son discours d’une petite dizaine de minutes - un cours d’histoire politique européenne et un panégyrique de Jeanne d’Arc -, ne passionne pas les foules, loin de là. On baille. Les premières gouttes de pluie font leur apparition. "Elle représente quoi, pour vous, Jeanne d’Arc ?", demande-t-on à une bande de jeunes du FN. "Euh..", sera la réponse la plus courante.
Marine Le Pen s’est gardée le beau rôle : la dénonciation de l’Europe, qui fait toujours recette. Bruxelles en prend pour son grade, Hollande et Valls ne sont pas épargnés et Jean-François Copé n’est pas oublié. Mais les fines gouttes de pluies deviennent des trombes. Son discours, convenu, ne suffit pas à retenir des militants trempés. La place de l’Opéra se vide petit à petit. La météo a même raison du micro de Marine Le Pen, hors service quelques instants. Elle continue, harangue "les éclaireurs d’une armée de patriotes" et les exhorte à se mobiliser pour les élections européennes, le 25 mai prochain. "Avec un peu de chance, il fera beau", a dû penser la patronne du FN.
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