Les corps intermédiaires taxés d’"immobilisme", Bernard Thibault soupçonné d'être "membre du PCF", la CFDT accusée d'avoir abandonné les salariés à Florange … Nicolas Sarkozy a ajouté lundi à la liste des piques envoyées aux syndicats la proposition d’un grand rassemblement le 1er mai pour célébrer le "vrai travail". "De ceux qui travaillent dur, de ceux qui sont exposés, qui souffrent, et qui ne veulent plus que quand on ne travaille pas on puisse gagner plus que quand on travaille", avait précisé Nicolas Sarkozy à la presse devant son QG.
Cette sortie, les syndicats l’ont pris pour eux. Car depuis la fin du 19e siècle, le 1er mai est une date cochée par les grandes organisations pour un rendez-vous annuel de mobilisation. Et que le président y ait accolé l’expression "vrai travail" est pour eux clairement une bravade. Et ce n’est pas la première de la campagne.
"Ça pourrait être risible"
La CGT a réagi en deux temps. D’abord en appelant, comme à la veille du premier tour, à "battre Nicolas Sarkozy en élisant un nouveau président de la République", puis en condamnant l’initiative du président sortant. "La CGT dénonce la provocation du président de la République qui vise à détourner et à récupérer le 1er mai sur le thème fallacieux du ‘vrai travail'", affirme la commission exécutive de la centrale, dans un communiqué. "Cette opération n'a d'autre objectif que de diviser les salariés et stigmatiser leurs organisations syndicales", ajoute la confédération.
Pour Nadine Prigent, secrétaire confédérale de la fédération CGT interrogée par Europe 1, "on sent bien une double attaque de la part de Nicolas Sarkozy : il y a une volonté d’instrumentaliser le 1er mai en essayant d’opposer les salariés entre eux". Elle estime que le président-candidat "nous rend responsable son échec. On a en effet popularisé son bilan négatif depuis de nombreux mois. Donc oui, on comprend qu’il soit nerveux et agacé mais le 1er mai on l’espère syndical et social".
"C’est de la provocation, pour un président sortant qui est en grande difficulté", a abondé Annick Coupé, porte-parole de Solidaires, sur Europe 1. "Entendre Nicolas Sarkozy parler de défendre le travail, ça pourrait être risible si on n’était pas dans une crise sociale aussi dur."
Même la CFDT, traditionnellement plus prudente et plus mesurée, est montée au créneau. Sans nommer Nicolas Sarkozy, la CFDT a jugé "inquiétante" la tentative de "responsables politiques" de "s'autoproclamer uniques représentants des travailleurs" et de vouloir "détourner l'objet" du 1er mai.
"Liens bien connus" entre CGT et PCF
A la fin du mois de mars, François Chérèque était déjà sorti de sa réserve pour accuser le président-candidat de "manipulation de l'opinion" et de "démagogie populiste" en tapant à "bras raccourcis sur les syndicats". Nicolas Sarkozy avait la veille accusé la CFDT d’avoir "abandonné" les salariés de Florange. Début avril, c’est à la CGT que le président sortant s’en était pris, pointant "les liens bien connus" entre le syndicat et le PCF. Bernard Thibault est "membre du bureau politique du Parti communiste, comme chacun le sait", avait-il même affirmé, ce que le secrétaire général de la CGT avait démenti.
Dès le 21 février, Nicolas Sarkozy avait déjà fâché les centrales en s’en prenant, lors de son discours de Villepinte, aux "corps intermédiaires". "Les syndicats, les partis, les groupes de pression, les experts, les commentateurs", avait-il détaillé.
Neutralité de principe
C’est donc plus par réaction que par réelle volonté que les syndicats se sont trouvés engagés dans la campagne. "Le président sortant a porté durant cette campagne des attaques assez vives sur la lourdeur des corps intermédiaires. Les organisations syndicales, mais aussi patronales, y ont vu un propos déplacé", estime pour Europe1.fr Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du Travail (IST). "Dans les campagnes précédentes, les candidats étaient relativement en retenue sur ce sujet", ajoute-t-il.
Beaucoup d’organisations ont d’ailleurs réagi ponctuellement, sans se prononcer pour un candidat, conservant leur neutralité de principe. "D’ailleurs, hormis la CGT, et un peu la CFDT, les organisations syndicales, pendant cette campagne, sont restées prudentes dans les relations avec les candidats", estime le directeur de l’IST.
"Récupérer un électorat à la droite de la droite"
Cette prudence des dirigeants syndicaux s’est toutefois accompagnée d’une sanction dans les urnes. Les sympathisants des organisations syndicales ont ainsi voté à 43% en faveur de François Hollande au premier tour de la présidentielle et à 19% pour Jean-Luc Mélenchon. Auprès de ces électeurs, Nicolas Sarkozy UMP n'a lui recueilli que 14% - contre 27,1% en moyenne nationale -, peu devant Marine Le Pen (12%).
Le vote syndical semble donc perdu pour le président sortant, qui ne comptait sans doute pas dessus. L’objectif de sa proposition n’était d’ailleurs pas de vexer un peu plus les syndicats. "Le but était probablement d’opérer un clivage, pour récupérer un électorat à la droite de la droite qui par tradition est très opposé au système syndical", glisse Bernard Vivier. "Nicolas Sarkozy veut draguer les voix du Front national", a résumé plus crûment Annick Coupé, de Solidaires.
A moyen terme, la stratégie adoptée par Nicolas Sarkozy n’est pas sans risque. Car en cas de réélection, les syndicats n’oublieront pas les propos tenus pendant la campagne. "Il y aura un mauvais moment, une crispation électorale", prévient Bernard Vivier. "Ce sera remédiable avec ma CFDT et la plupart des autres organisations syndicales. Mais il aura toujours la CGT en face de lui."