L’élection présidentielle est en France le moment privilégié pour se faire entendre. Chaque scrutin est donc l'occasion pour les associations, syndicats et corporations d’exprimer leurs doléances en multipliant les revendications, livres blancs et autres pactes. Mais le lobbying en temps de campagne est-il vraiment efficace ? Comment travaillent ces professionnels de l’influence pour se faire entendre ?
Entre les mois de février et d’avril, il ne se passe pas un seul jour sans un nouvel appel aux candidats. C'est simple, l’internaute n’a qu’à pianoter "ils interpellent les candidats" sur son ordinateur et il tombe sur plus de huit millions de réponses.
Chacun y va de sa requête
Ces appels aux candidats vont de l’ONG Médecin du monde, qui réclame des engagements sur l'accès au soin, aux promoteurs immobiliers, qui formulent leurs propositions en faveur du logement, en passant par une prostituée qui dénonce le délit de racolage.
D'autres s'offrent même une page dans le quotidien Le Monde pour défendre l'industrie touristique ou la cause animale, ce qui coûte tout de même 138.000 euros. Bref, chacun essaie d'avancer ses billes comme il le peut et rêve au passage de rééditer l'exploit de Nicolas Hulot avec son pacte écologique de 2007 qui avait été signé par tous les candidats.
Il reste pourtant bien difficile de se faire entendre dans un espace médiatique saturé mais cela en vaut la peine : en trouvant "la" bonne idée de communication, un lobby a alors l’assurance d'exister médiatiquement et de faire parler de lui.
L’exemple réussi des paralysés de France
L'association des paralysés de France l’a bien compris et a ainsi réussi à être reçue par tous les candidats et par tous les médias. Et pour cause : l’association a eu recours à l'agence de communication Mediaprism, qui leur a conseillé d’arriver chez les candidats en voiture de modèle Smart avec des fauteuils roulants sur le toit.
"Nous sommes intervenus simplement pour trouver la petite idée, qui était donc les Smart avec les fauteuils aux couleurs des candidats", détaille Franck Hourdeau, directeur général de l’agence.
"Cela a un effet visuel. Quand on arrive dans les QG de campagne, on ne peut pas ne pas ouvrir les portes. Alors que si cela ressemble à une manifestation politique avec trois banderoles et deux manifestants", poursuit-il. Résultat, l’association a ainsi obtenu 15 minutes d’entretien avec chaque candidat pour présenter ses trois ou quatre propositions pour la présidentielle.
A défaut de contacter le candidat, passer par son entourage
Que les lobbys qui n’ont pas réussi à être reçus par les candidats se rassurent, il y a d’autres manières d’être entendu. Derrière chaque candidat, on trouve toute une équipe de campagne chargée de recevoir les lobbies et de faire le tri.
Ces conseillers ont en ce moment du travail : ils reçoivent chaque jour près d'une centaine de propositions. La plupart du temps, ils répondent par une lettre ou un mail-type rappelant la position du candidat sur l'environnement, l'énergie ou encore l'industrie.
Mais si la proposition est vraiment intéressante, les lobbyistes peuvent être reçus par un conseiller du candidat, qui sera peut-être le futur ministre du secteur. Ce dernier rédige alors une fiche et si la proposition est vraiment forte, la fiche peut remonter très haut dans la hiérarchie, jusque sur le bureau du candidat.
"Les candidats ne peuvent pas tout savoir"
Cette méthode de travail plus discrète et qui suppose de bien "calibrer" ses propositions est en général confiée à d’importantes agences de lobbying. Ces dernières travaillent en fait toute l'année avec les politiques pour pousser, ou au contraire freiner, une loi en fonction de leurs intérêts.
Ces hommes d’influence sont si rodés que, pendant la campagne, ils peuvent se transformer en véritables conseillers, estime Nicolas Tallon, président de l'association des conseils en lobbying. "Les candidats ne peuvent pas tout savoir. Parmi leurs propositions se trouvent parfois des mesures qui peuvent avoir un impact auquel ils n’avaient pas pensé. Cela peut être un impact négatif sur l’emploi, la croissance et c’est donc normal que les secteurs viennent les alerter", assure-t-il.
Quand les lobbies alimentent les programmes
Mieux, les candidats "peuvent aussi essayer d’attraper des idées. Ils prennent une idée, se disent ‘celle-là me plaît, elle est utilisable, médiatisable, populaire’ et ils la prennent", conclut Nicolas Tallon.
Effectivement, certaines propositions des candidats sont plus ou moins directement inspirées des propositions des lobbyistes. Ainsi, François Hollande qui veut moduler l'impôt sur les entreprises en fonction de leur taille, l’a reprise à la CGMPE, le syndicat des petites et moyennes entreprise. Du côté de Nicolas Sarkozy, ses équipes reconnaissent que c'est en discutant avec les ONG que la taxe sur les transactions financières a pris forme. Mais pour arriver à de tels résultats, il faut s’y prendre en avance : en ce moment, les lobbyistes préparent déjà le coup d'après : les élections législatives.