Affaires Woerth et Cahuzac, si proches, si lointaines

© MaxPPP
  • Copié
, modifié à

ANALYSE - En apparence similaires, les deux affaires n’ont pas été gérées de la même façon.

Ils ont tous les deux occupé la même fonction : ministre du Budget. Ils ont tous les deux été au centre de l’attention médiatique pendant des mois en raison de leur implication dans des affaires judiciaires. Ils clament tous les deux leur innocence. Et ils ont tous les deux compromis leur avenir politique. La comparaison s’arrête toutefois là entre Jérôme Cahuzac et Eric Woerth.

Deux timings

Après avoir fait de l’exemplarité en politique un marqueur de sa campagne, François Hollande ne pouvait pas continuer sa route avec un boulet au pied. Il a donc tranché dans le vif, en trois petites heures mardi en fin de journée, et Jérôme Cahuzac est passé par pertes et profits. "La période de suspicion a duré très longtemps, trop longtemps", juge un conseiller ministériel cité par Libération, mercredi. Avec Eric Woerth, "la justice allait beaucoup plus loin, enquêtait", rappelle Bruno Le Roux, patron des députés socialistes. "Là, il suffit que la justice commence à enquêter pour que, trois heures plus tard, la décision soit prise. Eric Woerth était resté au gouvernement pendant trop longtemps", tranche ce proche du chef de l’Etat.

>> A LIRE AUSSI : Comment Hollande a géré la démission de Cahuzac

La stratégie du gouvernement Fillon à l’égard d’Eric Woerth avait en effet été tout autre. Après la divulgation par Mediapart d’enregistrements authentifiés mettant en lumière les possibles conflits d'intérêts entre Liliane Bettencourt et Éric Woerth, l’équipe Fillon avait serré les rangs derrière leur collègue. Et Nicolas Sarkozy a attendu six long mois avant d’exfiltrer son ministre.

Deux oppositions

Pendant toute la durée de "l’affaire Woerth", le Parti socialiste, alors dans l'opposition, n'a pas relâché sa pression, Jean-Marc Ayrault allant jusqu’à qualifier le ministre du Budget d’alors de "ministre en sursis", quand Arnaud Montebourg, Claude Bartolone et d’autres demandaient sa démission à chaque séance à l'Assemblée nationale. L’élu écologiste Noël Mamère avait, lui, parlé de "voyous au sommet de l'Etat". "Nous posons des questions précises mais nous évitons le piège de la dénonciation personnelle", assurait pourtant Pierre Moscovici.

De son côté, lUMP a joué la carte de la modération, certains allant même jusqu’à louer le travail effectué par feu le ministre délégué du Budget. "On ne va pas se comporter de manière ignoble comme le faisait Ayrault avec acharnement, en colportant des rumeurs, des rumeurs médiatiques", a taclé Christian Jacob sur France Info, mercredi matin. "Nous n'avons jamais eu à l'UMP de comportements tels que le PS a eu à l'égard d'Eric Woerth. Nous avons toujours respecté la présomption d'innocence", a renchéri Nadine Morano sur RTL. "Je veux juste faire remarquer que dans cette affaire, la droite a fait preuve d'une retenue qui nous honore tous, s’est félicité Jean-François Copé dans un communiqué. Là où en d'autres temps, pour des faits qui n'étaient pas avérés, la gauche s'était livrée à des attaques de personnes scandaleuses et d'une extrême violence".

>> A LIRE AUSSI : l'UMP choisit la modération

Deux stratégies

© REUTERS

"Si je dis à Eric de partir, ça voudra dire qu'il y a quelque chose". Voilà ce que répétait Nicolas Sarkozy à ses visiteurs, en plein cœur de l’affaire Woerth. Christian Estrosi estimait lui aussi que l’éventuelle démission de son collègue "serait donner raison à ceux qui font preuve d'un acharnement inouï contre lui". Fidèle à cette ligne de conduite, l’exécutif a soutenu son ministre du Budget, avant de juger la situation intenable. Après avoir démissionné de lui-même de son poste de trésorier de l’UMP, Eric Woerth a ensuite été débarqué de son poste de ministre du Budget par la grâce d’un remaniement, le 22 mars 2010. Une exfiltration plus qu’une sanction puisqu’Eric Woerth s’est vu confier un autre portefeuille, celui du Travail, moins sensible. Mais en novembre 2010, il a été débarqué définitivement du gouvernement.

Jérôme Cahuzac a eu une approche bien différente. Si lui aussi clame son innocence depuis le début, il a décidé de démissionner très vite afin "consacrer toute son énergie" à sa défense. "Il souhaite se défendre, il peut donc le faire sans mettre en difficulté notre tâche déjà bien difficile", a confirmé Arnaud Montebourg. "J'espère que dans les jours qui viennent il pourra répondre des différentes accusations et que vite il saura faire triompher sa vérité", a enchaîné Claude Bartolone.

Deux avenirs... en pointillés

François Hollande, qui doit intervenir la semaine prochaine à la télévision, n’a pas cherché à retenir l’un de ses meilleurs ministres, bien que celui-ci n’ait pas été mis en examen. L’annonce par le parquet de l’ouverture d’une information judiciaire lui a suffi à trancher dans le vif. Les juges d'instruction Roger Le Loire et Renaud Van Ruymbeke, désignés mercredi pour mener l'enquête pour "blanchiment de fraude fiscale", devront notamment lancer des investigations en Suisse et à Singapour. Et déterminer si la voix attribuée au ministre dans un enregistrement est bien la sienne. S’il s’est effectivement rendu coupable des faits qui lui sont reprochés, Jérôme Cahuzac encourt une peine de cinq ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende.

>> A LIRE AUSSI : Tapie, DSK, Cahuzac : une démission, et après ?

Toujours député de l’Oise, Eric Woerth a lui aussi de nombreux rendez-vous judiciaires devant lui. Blanchi dans l’affaire de l’hippodrome de Compiègne, il se débat encore avec l’affaire Bettencourt. En février 2012, il a en effet été mis en examen pour "trafic d'influence passif", et pour "recel de financement illicite de parti politique". Selon le Code pénal, le recel est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375.000 euros d'amende. Le délit de trafic d'influence passif est quant à lui puni de dix ans d'emprisonnement et de 150.000 euros d'amende maximum.