Depuis 30 ans, il conseille les présidents, de droite comme de gauche. L’économiste Jacques Attali était l’invité du "Grand Rendez-vous" d’Europe 1/i>Télé/Le Monde, dimanche matin. L’occasion pour lui d’évoquer les réformes nécessaires pour sortir le pays de l’ornière, d’analyser la présidence Hollande et de définir les grands enjeux de demain.
Hollande "doit tenir un langage de vérité". Pour remettre la France sur de bons rails, le conseiller des présidents conseille à François Hollande "de tenir un langage de vérité. Dire que la France est un extraordinaire pays qui a d’énormes atouts. Mais ces chances sont aussi notre faiblesse car on a l’impression que tout va si bien que ce n’est pas la peine de réformer. Il faut donner un projet, et le cap doit être triple : plus de justice sociale, un projet européen politique et enfin faire de la Francophonie un projet politique majeure, car c’est là où cela va se jouer. Nous sommes 220 millions de francophones actuellement, nous allons être 800 millions, cela peut être un outil formidable de croissance économique."
"En France, compte tenu de nos institutions, il y a très peu de gens qui ont les moyens d’être des gens d’actions efficaces : les maires, parce qu’ils sont élus pour six ans, les présidents de régions parce qu’ils sont élus pour un temps long et il y a le président de la République. Le gouvernement n’a pas ses moyens puisqu’il est révocable du jour au lendemain. Le président a les moyens. Moi j’ais contre la réforme qui réduit son mandat de sept à cinq ans, ce qui me paraît être une erreur grave. Pour moi, un président, c’est quelqu’un qui pense à la trace qu’il laissera dans l’histoire dans 30 ans, et pas aux sondages".
La quenelle, "un geste stupide, débile". Il ne pouvait échapper à la question. Au lendemain de l’entretien musclé de Manuel Valls dans le Parisien annonçant qu’il va faire tout son possible pour "en finir avec l’impunité de Dieudonné", Jacques Attali s’est exprimé sur la quenelle, ce geste popularisé par l’humoriste, repris samedi par Nicolas Anelka : "il faut laisser la justice s’exprimer. Ce geste est stupide, débile." L’homme qui murmure à l’oreille des présidents a également estimé que "tant que ce n’est qu’un signe et qu’il n’y a pas derrière un discours, alors c’est purement potache. Pour moi, ce signe veut dire : ‘je suis un imbécile’. Nous sommes dans uns société où le signe remplace la parole, donc le signe prétend incarner toute une série de valeurs, mais en réalité le discours qui doit le porter, le discours antisémite, est heureusement interdit par la loi."
Jacques Attali tire une conclusion de cette polémique : "il faut être très vigilant. La France n’est pas un pays antisémite, et je continue à penser que c’est le cas. Il faut raison garder. Cette campagne s’inscrit dans un contexte et une situation politique extrêmement dangereuse, avec un Front national qui est en train de devenir le premier parti de France. (…) J’ai dit à plusieurs reprises que 2013 ressemble à 1913, et en 1913, personne ne connaissait Hitler, Lenine, Mussolini mais pourtant ils étaient là, prêts à pendre le pouvoir."
"Les emplois aidés ne sont pas une solution". L’économiste s’est également exprimé sur les chiffres du chômage, moins bons que ne l’espérait le gouvernement, et sur la promesse de François Hollande d’inverser la courbe d’ici la fin de l’année 2013 : "je trouve ça très courageux de la part du président de la République d’avoir engagé sa parole sur un projet, et ce projet est juste. Il faut juger ce combat sur le moyen et le long terme, pas seulement sur un mois. Le combat n’est ni gagné ni perdu pour l’instant, même s’il est sans doute perdu pour ce qui est de l’inversion d’ici fin décembre. Il ne peut être gagné que par des réformes de structures, qui ne sont pas du tout engagées encore."
Interrogé sur le bien fondé des emplois aidés, Jacques Attali rappelle qu’ils ont "inversé la courbe du chômage, même si cette expression est mathématiquement absurde, pour ce qui est des jeunes. Mais pour moi, ce n’est pas une solution. On ne règlera pas le problème du chômage ainsi. Il faut des réformes plus profondes, qui sont d’ailleurs à la portée du président."
Attali : "une nouvelle crise aura lieu"par Europe1fr"On doit rester le gendarme de l’Afrique". Interrogé sur l’intervention de la France en Centrafrique, Jacques Attali estime que la France a "eu raison. Cela montre que François Hollande a encore les moyens d’être un très grand président de la république puisqu’en matière de politique étrangère et de défense, il sait prendre les décisions, et il a la chance de bénéficier d’une armée de qualité. Nous ne pouvons pas laisser ce continent d’un milliard d’hommes, le 21e siècle ne sera pas celui de la Chine, mais de l’Afrique. Nos interventions en Afrique font partie d’un grand projet francophone."
Pour l’ancien conseiller de François Mitterrand, "on doit rester le gendarme de l’Afrique, et le président a raison de le faire, aussi longtemps qu’on ne pourra pas être relayé par des troupes africaines ou des Nations unies. Il y a un progrès, mais un pays comme le Nigéria, qui a 160 millions d’habitants, n’a que 80.000 hommes dans son armée, cela ne va pas, ce n’est pas possible. Il faut que l’Afrique se prenne en main."