Au fait les agriculteurs, plutôt Sarkozy ou Le Pen ?

© PIERRE ANDRIEU, FRANCOIS GUILLOT / AFP
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REPORTAGE - Le Front national tente de séduire les paysans déçus du sarkozysme. Mais c'est loin d'être gagné.

L'INFO. Historiquement, les agriculteurs sont, avec les catholiques pratiquants, le groupe social le plus réfractaire au Front national. Mais aussi un électorat fidèle à la droite. Voilà pour les faits. Mais la tendance, elle, serait en passe de changer, avec une Marine Le Pen qui espère bien surfer sur le malaise agricole, sur fond de contestation des normes européennes, de dumping social et de paperasserie excessive. Mais la patronne du FN a encore du pain sur la planche avant de conquérir les cœurs paysans.

>> Est-ce à dire que les agriculteurs pourraient délaisser Nicolas Sarkozy pour tomber dans les bras de l'extrême droite ? Europe 1 leur a posé la question au Salon de l'agriculture, lundi, à quelques heures de la venue sur place des deux chefs de partis.

Le patron de l'UMP sait l'importance de (re)conquérir cet électorat qui lui est traditionnellement acquis. Un électorat qui se mobilise toujours en masse quand il s'agit d'aller glisser son bulletin dans l'urne. Jamais négligeable quand on sait que près d'un million de personnes vivent de ou pour l'agriculture. Au premier tour de la présidentielle de 2012, 27% des Français avaient voté pour Nicolas Sarkozy, selon une enquête de l'Ifop. Ils étaient 44% parmi les paysans. Pas étonnant, donc, de voir l'ancien président multiplier les petites attentions : déplacement sur le terrain à la rencontre de viticulteurs, rencontre avec les syndicats et, surtout, passage (obligé) au Salon de l'agriculture.

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"Avec le FN, je crains que nous ayons de mauvaises surprises". Gérard, éleveur de chevaux mulassiers de 42 ans, se réjouit déjà de croiser l'ancien chef de l'Etat. "J'ai voté Sarkozy en 2007 et en 2012, et je recommencerai en 2017 !", assure-t-il, tout en précisant qu'il "comprend que certains soient tentés par Marine Le Pen, car elle ose dire certaines vérités. Les gens sont vraiment dans la merde, ils ne savent plus quoi faire pour d'en sortir !" Fidèle, Gérard. Mais un peu seul aussi.

"Oui, Sarkozy m'a déçu". Après avoir refusé de répondre à nos questions, Marc nous rattrape par le bras : "on sera plus au calme là bas…" Une fois isolé de ses collègues, la parole se libère : "oui, Sarkozy m'a déçu. Son retour, c'est un peu n'importe quoi. On a l'impression qu'il ne pense qu'à lui et qu'il est juste là pour prendre sa revanche sur Hollande. Le Pen, elle parle de nous et cela m'intéresse." Suffisant pour glisser un bulletin FN dans l'urne ? "Pas pour les départementales. Mais pour la présidentielle, oui".

Monique, sexagénaire croisée dans les allées, appuie l'argumentation de Marc : "Sarkozy, on a vu ce que cela a donné. Hollande, on a vu ce que cela a donné. Il nous reste qui ?" "Marine Le Pen !", répond, enthousiaste, sa copine. "Moi, j'ai voté Sarkozy en 2007 et 2012, mais cette fois c'est fini, je ne lui fais plus confiance. Donc en 2017, je vais tenter le FN !" La copine de Monique opine du chef. Sylvie, inséminatrice, va chaque jour d'exploitations en exploitations. "Et j'entends de plus en plus parler du FN", assure-t-elle.

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Le Maire et Juppé font la nique à Sarkozy. L'image de Nicolas Sarkozy chez les agriculteurs s'est considérablement dégradée. Selon un sondage BVA pour Terre-net, publié début février 2015, le patron de l'UMP n'obtient que 42% d'opinions positives auprès des paysans, "soit une baisse de 10 points par rapport à septembre 2014", décrypte pour Europe 1 Florence Gramond, spécialiste des questions agricoles chez BVA. Une baisse d'autant plus critique pour Nicolas Sarkozy que ses concurrents à droite ont la cote dans le monde paysan : Alain Juppé (69%) devance Bruno Le Maire (68%), puis François Fillon (50%). "On pourrait presque lui conseiller d'avoir Le Maire à ses côtés s'il veut capter le vote des agriculteurs", s'amuse Florence Gramond. "C'est logique : il ne leur a pas parlé pendant deux ans", démine l'entourage de Nicolas Sarkozy.

Et Marine Le Pen ? Son image est-elle aussi bonne qu'on le murmure ? "La montée du FN chez les paysans, c'est une rumeur !", tranche d'emblée Nicolas, 30 ans, éleveur de vaches Salers. "Qu'elle s'approche de mon stand, elle va être bien reçue ! Il est hors de question que je lui adresse la parole", s'emporte Jean-Michel, 52 ans, petit éleveur de Bretonne pie noire. Dans le classement BVA des leaders politiques et syndicats préférés des paysans, on a d'abord cru que Marine Le Pen avait été oubliée. Puis on l'a finalement trouvée. Bas, très bas. La patronne du FN n'est que 16e, en baisse de 6 points.

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"Avec le FN, je crains que nous ayons de mauvaises surprises". Si l'extrême droite compte sur la désertification des campagnes, la fermeture des services publics ou encore l'explosion de la délinquance en milieu rural pour percer électoralement dans nos campagnes, son image lui empêche encore de s'imposer complètement dans les esprits. "Avec le FN, je crains que nous ayons de mauvaises surprises. On sait ce que font les extrêmes en général quand ils ont le pouvoir…", se méfie ainsi Gérard. "C'est jamais bon de filer le pouvoir à des extrémistes", appuie Philippe, son voisin d'étable. Preuve que la dédiabolisation n'a pas fini son ouvrage.

La PAC, un sujet sensible. Autre point qui joue en la défaveur de Marine Le Pen : sa dénonciation constante de l'Union européenne et sa volonté répétée d'en sortir. "Voter FN, c'est détruire le modèle européen qui a soutenu l'agriculture française", a prévenu Manuel Valls depuis le salon de l'Agriculture. S'ils sont souvent (très) critiques à l'égard de Bruxelles, les agriculteurs français savent bien que sans les aides de la Politique agricole commune (PAC), nombre d'entre eux auraient définitivement rangé les vaches dans l'étable. "C'est le seul point qui me pose problème… Mais je me dis que, de toute façon, la concurrence est faussée en Europe. Donc pourquoi pas en sortir et rétablir nos frontières ?", s'interroge Marc, un peu gêné aux entournures.

Alors les agriculteurs, plutôt Sarkozy ou Le Pen ? "Ils sont tous les deux pareils ! Je ne leur fais aucunement confiance pour nous sortir du bourbier dans lequel on patauge depuis des années…", tranche Julien, 28 ans, éleveur de Prim’Holstein dans le Sud ouest. Les deux rivaux sont prévenus, le paysan ne se laisse pas séduire facilement.

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