"Activiste" pour ses partisans, "frénétique" pour ses opposants, Nicolas Sarkozy a incontestablement beaucoup réformé pendant son quinquennat. Pas moins de 250 lois ont en effet été votées en un peu moins de cinq ans. Mais beaucoup d’entre elles restent sans effet, faute de décret d’application. Le Sénat présente mardi son rapport annuel de "contrôle de l'application des lois". La Chambre haute, qui a basculé à gauche depuis les élections de septembre, ne va pas se priver de dresser une liste exhaustive des textes non appliqués.
Et il ne s’agit pas forcément de lois obscures, votées dans l’ambiance feutrée de l’Assemblée nationale, mais de projets qui ont souvent fait l’objet de débats publics acharnés. Citons ainsi le Grenelle de l’Environnement, la loi Loppsi sur la sécurité intérieure, celle sur la récidive ou encore le texte concernant la télévision publique. Certaines des dispositions de ces textes sont bel et bien appliquées, mais d’autres attendent toujours sur le bureau du Conseil d’Etat, dont l'avis est indispensable.
"On nous pousse ni plus ni moins à valider certaines lois"
Et depuis début janvier, le gouvernement fait clairement pression sur l’instance, chargée entre autres de vérifier la loi, de la valider en quelque sorte. "Les décrets s'empilent sur nos bureaux", explique à Europe 1 Didier Maus, membre du conseil d'Etat. "La présidentielle, c'est dans douze semaines, et on nous pousse ni plus ni moins à valider certaines lois. Car le gouvernement et la majorité parlementaire sortants ont intérêt à ce qu’un maximum de textes d’application soient publiés avant les élections pour pouvoir dire : ‘vous voyez, on a bien travaillé’. Et quand vous avez une échéance électorale précise, vous allez obligatoirement plus vite", assure le haut fonctionnaire."L’expérience montre que les fins de législature sont souvent des fortes périodes de travail d’embouteillage", résume-t-il.
Si des lois parfois très importantes n’ont pas été votées, c’est pour plusieurs raisons. D’abord, certaines lois sont énormes, elles contiennent entre 50 à 60 décrets prévus, et il faut des mois pour tout vérifier. "c'est assez long à mettre au point", explique Didier Maus. Parfois aussi, des lobbies font pression pour retarder au maximum la promulgation et l’application d’une loi. Et puis il y a des raisons moins avouables. Certaines lois ont été très médiatisées, ont entraîné leur lot de promesses, parfois coûteuses, et le moment venu, la signature du décret n’est plus vraiment une priorité. "Il arrive que beaucoup de gens traînent des pieds", résume le conseiller d'Etat.
L’exemple du Grenelle
Exemple avec le très emblématique Grenelle de l’environnement. Cette loi, votée il y a déjà deux ans, comporte plus de 300 articles. Mais actuellement, 43% des décrets n’ont pas été signés, et c’est donc quasiment la moitié du texte qui n’est pas applicable. "L’Etat n’a pas les moyens aujourd’hui de financer la politique de protection de la nature comme les acteurs du Grenelle de l’environnement l’aurait souhaité", assure Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l'environnement. "Ça coûte plusieurs centaines de millions d’euros, et c’est vrai que l’Etat compte beaucoup sur le secteur privé pour financer la protection de la biodiversité."
Et le fait que ces décrets n'aient pas été signés a des conséquences concrètes. Partout en France, des comités régionaux de scientifiques, d'associations, d'élus ont été mis en place pour appliquer le Grenelle à l’échelle locale. Ils ont même commencé à travailler jusqu’au blocage. Car aujourd'hui, sans les décrets d’application, ces scientifiques son contraints à l’inaction et à renoncer aux travaux prévus.