"Si j'en avais l'énergie, j'aurais déjà réservé ma place, même petite, à son QG" de campagne. La déclaration de soutien de Jacques Chirac à Alain Juppé, mercredi soir, est tout sauf une surprise. Depuis presque 20 ans, l’ancien président nourrit une rancune tenace à l’égard de Nicolas Sarkozy, alors qu’il a depuis longtemps adoubé le maire de Bordeaux comme son successeur à droite. Europe 1 revient sur les relations orageuses entre deux anciens chefs de l’Etat
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Tout commence lors de l’élection présidentielle de 1995. Largement en tête dans les sondages, Edouard Balladur, Premier ministre de l’époque, reçoit le soutien inattendu d'un certain Nicolas Sarkozy, pourtant considéré comme un très proche du maire de Paris, Jacques Chirac, lui aussi candidat dans la course à l’Elysée, "Il était entré assez loin dans l’intimité de la famille Chirac, alors que ce dernier cloisonnait fermement sa vie privée et sa vie politique. Alors quand Sarkozy a pris ses bagages pour rejoindre Balladur, Chirac a vécu cela comme une trahison extrême ", se souvient pour Europe 1 Thomas Guénolé, politologue spécialiste de la droite.
"Chirac est mort"
Nicolas Sarkozy, lui, est alors persuadé d’avoir misé sur le bon cheval. "L’électroencéphalogramme de la Chiraquie est plat. Ce n'est plus l’Hôtel de Ville, c’est l’antichambre de la morgue. Chirac est mort, il ne manque plus que les trois dernières pelletées de terre", assurait-il dans l’hebdomadaire Marianne, en 1994. Sauf que, cette fois-ci, Nicolas Sarkozy se plante dans les grandes largeurs. En plus, "pendant la campagne de Balladur, il a utilisé des méthodes d’une grande brutalité pour intimider et tenter de rallier à lui des cadres du RPR", précise Thomas Guénolé. Une fois entré à l’Elysée, Jacques Chirac va donc ostraciser son ancien favori. Nicolas Sarkozy devient alors le pestiféré de la droite française, hué dans toutes les réunions politiques du RPR. Une longue traversée du désert qu’il n’oubliera jamais.
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C’est en 2002 que Nicolas Sarkozy voit enfin le bout du tunnel, Jacques Chirac ayant apprécié son soutien pour la présidentielle. Le début de son ascension dans les hautes sphères du pouvoir, d’abord au ministère de l’Intérieur, puis à l’Economie. "Ses ambitions présidentielles sont vite devenues transparentes, à peine est-il arrivé Place Beauvau (en 2002, Ndlr)", confirme Jacques Chirac dans le second tome de ses Mémoires. Et comme il n’a jamais digéré la trahison de 1995, le chef de l’Etat fera tout son possible pour entraver la montée en puissance de son ministre.
"Sarkozy a complètement cannibalisé le second mandat de Chirac"
C’est la raison pour laquelle il décide d’interdire à un ministre de cumuler sa fonction avec celle de président de l’UMP, que brigue Nicolas Sarkozy. Et c’est aussi pour cela qu’il nomme Dominique de Villepin à Matignon, en 2005, alors que les sondages plébiscitent Sarkozy. Ce dernier le prend très mal. "Sarkozy a complètement cannibalisé le second mandat de Jacques Chirac (de 2002 à 2007, Ndlr). Il a saturé l’espace médiatique pour passer devant Alain Juppé au rayon des successeurs potentiels et mettre la main sur l’UMP.".
Ce qu’il parvient finalement à faire en 2004, avec le soutien de… Bernadette Chirac. Revenu aux affaires, ultra-populaire dans l’opinion, omniprésent sur le terrain, Nicolas Sarkozy multiplie les piques à l’intention de son ancien mentor. Ce qui oblige Jacques Chirac à un recadrage en règle lors de son allocution du 14 Juillet 2004 : "je décide, il exécute". Un président qui glisse à ses visiteurs du soir : "il faut marcher sur Sarkozy du pied gauche, car cela porte bonheur…"
"Il n’y a aucun contentieux entre eux"
Si Jacques Chirac soutient officiellement la candidature de Nicolas Sarkozy en 2007, c’est du bout des lèvres. Quelques mois plus tard, le nouveau chef de l’Etat tient sa revanche. Battu aux législatives en Gironde, Alain Juppé, le "chouchou" de la chiraquie, est contraint de démissionner de son poste de ministre de l’Ecologie. Dans son bureau élyséen, Sarkozy exulte : "Je viens de me débarrasser du dernier dinosaure chiraquien". Erreur, encore. En 2017, le "dinosaure" sera toujours là, prêt à l’affronter. Pour le plus grand plaisir de Jacques Chirac qui, en 2012, avait assuré qu’il voterait pour François Hollande. Et "c’était tout sauf une plaisanterie. Aujourd’hui, s’il peut continuer à mettre des bâtons dans les roues de Sarkozy, il le fera", assure Thomas Guénolé, spécialiste de la droite française.
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Dans les rangs sarkozystes, on tente de minorer l’importance de ce soutien. "C’est normal que Chirac soutienne Juppé. Il a toujours affirmé qu’il était proche de lui, il a été son Premier ministre, son adjoint à la mairie de Paris. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. C’est même au contraire tout à fait cohérent", assure ainsi son vieil ami Brice Hortefeux, contacté par Europe 1. Avant d’assurer, le plus sérieusement du monde, qu’"il n’y a aucun contentieux entre eux".