L'ancien directeur général du FMI a été entendu pendant plus d'une heure par le Sénat
C'est un véritable cours magistral d'économie auquel s'est adonné Dominique Strauss-Kahn devant la commission d'enquête sénatoriale sur le rôle des banques dans l'évasion des capitaux. L'ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI), ancien ministre de l'Economie et des Finances et ex-professeur d'économie, a répondu pendant plus d'une heure mercredi aux questions des sénateurs sur l'évasion fiscale, sans lien avec l'audition quelques minutes plus tard de Jérôme Cahuzac par une commission de l'Assemblée nationale, cette fois.
"Le système fonctionne mal". Dans son avant-propos d'une dizaine de minutes, Dominique Strauss-Kahn l'a convenu : "le système fonctionne mal". Pour autant, l'ancien directeur général du FMI ne considère pas que ce soit le problème principal des errements financiers actuels. "Incriminer la finance dans le désastre économique européen et français actuel est aussi pertinent que d'incriminer le secteur automobile quand on parle des morts sur la route", a-t-il souligné. "Le vrai problème, c'est le comportement des utilisateurs". Et sur ce point, DSK s'est montré sévère : "A trop s'occuper de la finance, on ne s'occupe pas assez des financiers".
"Les pays mettent la poussière sous le tapis". DSK a également pointé la faute de "très grands pays européens qui ont de très gros problèmes avec leurs banques régionales". Ceux-là, a-t-il détaillé, "mettent la poussière sous le tapis, car c'est une supervision nationale qui veille, et ils refusent qu'un superviseur supranational mette le nez là-dedans". Et ces décisions ne sont pas sans conséquences, comme l'ancien ministre de l'Economie l'a expliqué à la commission. "Lorsque les banques se sont prêtées au stress test après la crise de 2008, les banques nationales chiffraient le besoin de recapitalisation à 3 milliards, alors que le FMI, fort de ses calculs, l'estimait à 70 ou 80 milliards", a-t-il détaillé.
Le pouvoir limité du FMI sur les paradis fiscaux. Appelé "M. le ministre" par les membres de la commission - droite et gauche confondues - DSK a beaucoup été interrogé sur le rôle du FMI dans le contrôle mondial des territoires off shore et les paradis fiscaux. "Ce n'était une fonction dévolue au FMI à l'origine, même si après, le Fonds a été amené à s'y intéresser", a-t-il souligné, avant de préciser les limites du FMI sur les paradis fiscaux. "Il intervient dans un Etat uniquement à la demande de ce pays, et croyez bien que les paradis fiscaux ne demandent rien au FMI". Dominique Strauss-Kahn a donné l'une des raisons qui font que l'institution est limitée dans l'action : "On n'attrape pas une Ferrari avec une Clio", a-t-il imagé. "Le gendarme n'est pas assez armé, il faut que les bonshommes aient les compétences" pour arrêter les fraudeurs, a-t-il encore expliqué, soulignant après un silence que "les superviseurs sont nuls". La raison, selon lui, est simple : "ils sont payés dix, cent fois plus cher de l'autre côté, la puissance publique ne les paye pas assez, donc ils rament derrière".
DSK pas chaud pour la taxe Tobin. Avant de conclure, Dominique Strauss-Kahn a répondu à l'une des dernières questions, portant sur la taxe sur les transactions financières, dite taxe Tobin. "C'est une vaste illusion. Elle ne mène nulle part, à la grande satisfaction de ceux qui craignent qu'on aborde vraiment le problème", a fustigé l'ancien directeur général du Fonds. "Si la volonté politique est là, on peut aussi relever de 1% la taxation sur les entreprises, et on le trouvera l'argent", a-t-il ajouté en exemple, soulignant que la base de tout était la politique. "On joue avec des règles de basket sur un terrain de football, on a du mal", a-t-il encore glissé en exemple avant de conclure cinglant alors que l'Union européenne planche sur une version de la taxe Tobin. "Ce n'est pas avec une taxe de zéro virgule zéro quelque chose que nous améliorerons les débats".
Les observateurs conquis. Sur Twitter, plusieurs observateurs avisés ont salué les talents oratoires de Dominique Strauss-Kahn. Ce fut le cas de Thomas Wieder et Jean-Christophe Galeazzi, journalistes.
Ce fut le cas aussi au Sénat même, mercredi. Avant de poser sa question, le sénateur UMP Michel Bécot a remercié Dominique Strauss-Kahn, qualifiant l'audition de "très intéressante". Mais cela n'a pas été du goût de tout le monde. A l'annonce de l'audition de DSK, le sénateur UMP Gérard Longuet a estimé que sa venue n'était "pas souhaitée" dès lors qu'il a dégradé "l'image de l'homme politique". Son collègue député, Christian Estrosi a jugé mardi "pas normal" qu'ils soit auditionné, "pour des raisons morales".