Pour le Front de gauche dans son ensemble, le premier tour des élections législatives a été une cruelle déception. Les 6,9% recueillis au niveau national ont douché les enthousiasmes nés du score de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle (11,1%). Et les 13 à 20 sièges promis par les différentes projections sont loin des chiffres escomptés. Mais au sein même du mouvement d’extrême-gauche, c’est sans doute le Parti de gauche qui ressort le plus déçu du scrutin, puisqu’il ne devrait conserver qu’un seul de ses trois députés sortants. Mécaniquement, cela confère au PCF, l’autre grand parti du mouvement, une position de force qu’il avait un peu perdu au sein du Front de gauche.
Le très encombrant Mélenchon
C’est surtout vrai en ce qui concerne la défaite de Jean-Luc Mélenchon. La nomination de l’ancien sénateur socialiste comme candidat à l’élection présidentielle avait fait grincer quelques dents parmi les communistes. Son revers à Hénin-Beaumont n’a donc pas franchement été vécu comme un traumatisme. "C’est indéniable", confirme le politologue Laurent Dubois, joint par Europe1.fr. "Il ne faut pas oublier que Jean-Luc Mélenchon ne vient pas de chez les communistes. Il est celui qui leur a donné une deuxième vie, mais qui leur rappelait aussi sans cesse par sa seule présence combien ils avaient besoin de lui. Et il était très encombrant médiatiquement", estime l’universitaire.
Au Parti de gauche, on se refuse à croire que la défaite de Jean-Luc Mélenchon ait pu en contenter certains. "Aucun communiste ne s’est réjoui de notre défaite à Hénin-Beaumont", jure Denis Coquerel, secrétaire national du PG. "Si Jean-Luc Mélenchon l’avait emporté à Hénin-Beaumont, tout le Front de gauche en aurait profité", juge-t-il.
Le PCF "grand gagnant" du Front de gauche
N’empêche. Si le PCF et le parti de gauche cohabitent au sein du Front de gauche depuis trois ans, ils sont, par leur nature même, très différents. Sinon antagonistes. "Le Parti communiste a des réseaux, il sait faire campagne, a une culture du moment électoral. Le Parti de gauche, lui, a une culture du militantisme alternatif, d’Internet, de la rue, mais sans être très bien organisé", énumère Laurent Dubois. "On se complète, avec le PCF, pour l’instant. Et il n’y pas de raison que ça change", répond Denis Coquerel. "Jean-Luc occupe l’espace médiatique, le PCF occupe le terrain."
Mais au final, "le PCF est le grand gagnant du Front de gauche", estime Laurent Dubois. "Jean-Luc Mélenchon l’a sauvé de la fosse commune, et grâce à la force de son passé, à ses relais, il a mieux figuré aux élections législatives. D’autant que sans Mélenchon, il ne reste au Front de gauche que le PCF", analyse le politologue.
Et fort de sa base militante ô combien plus importante, le Parti communiste, qui revendiquait début janvier au JDD.fr 130.000 encartés dont 70.000 à jour de cotisation, pèsera forcément plus lorsque sera venu le moment de décider de l’orientation stratégique du mouvement. Car de son côté, le Parti de gauche revendique lui 11.000 adhérents. "On a presque doublé ce nombre en un an. On est donc loin d’être affaibli au sein du Front de gauche", veut croire Denis Coquerel. "Et puis c’est vrai que nous ne sommes pas dans un rapport d’égalité, mais d’équité", précise le secrétaire national du Parti de gauche.
Le salut pourrait passer par la rue
Malgré cette bonne volonté affichée, beaucoup d’observateurs prédisent un avenir difficile au Front de gauche. "Chacun risque de vouloir vivre sa propre vie", pronostique Laurent Dubois. "Le Front de gauche est face à un moment de vérité extrêmement cru : où il se radicalise et il va très rapidement entrer en conflit ave la social-démocratie à la sauce hollandaise, où il rentre dans le rang et devient une sorte de Parti radical de gauche, plus haut en couleur", résume l’universitaire.
"Il va falloir qu’on reprenne un bon souffle", reconnaît Denis Coquerel. "Les 11% de la présidentielle ne seront pas transformés au niveau parlementaire. Mais on va rebondir. On fait très peur, c’est ce qui explique la campagne de calomnie actuelle de l’UMP. Et certains prennent leur rêve pour des réalités en annonçant notre implosion. Personnellement, je n’y crois pas", assène le leader du FG. Qui avance une raison principale. "Les communistes, tout comme nous, ne peuvent pas se développer sans le Front de gauche."
Et pour le mouvement, le salut pourrait passer par la rue. "Pour nous, au Front de gauche, les élus, c’est bien sûr très important, mais nous savons qu’il va y avoir des mobilisations sociales très importantes dans les mois à venir, et nous prendrons toute notre place", assure Eric Coquerel. Laurent Dubois abonde : "La seule chose qui reste au Front de gauche, c’est la rue, la contestation, le troisième tour social", estime le politologue. En la matière, le FG a déjà montré son expertise, lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Mais cette fois, le pouvoir est à gauche. La mobilisation risque de s’en ressentir.