Ce serait une première. Mercredi, Libération a clairement annoncé qu'il n'hésiterait pas à violer l’embargo qui interdit de faire mention avant 20 heures, lors d’une présidentielle, de tous sondages sortie des urnes ou autres estimations.
Pourtant selon le code électoral français, "aucun résultat d'élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public par la voie de la presse ou par tout moyen de communication". A l’heure du développement de masse des réseaux sociaux sur le web, cet article L52-2 est toutefois jugé archaïque par certains. Pourquoi ce problème se pose-t-il en France et pas ailleurs ? Comment font les autres pays européens pour éviter ces écueils ? Revue de détails.
• Moins de cérémonial
Ce qui pose problème en France - Avec le développement des réseaux sociaux et l’avènement de millions de comptes Twitter et Facebook, le sacro-saint rendez-vous de 20h devant les télévisions a du plomb dans l’aile.
Ce qui se passe à l’étranger - En Suisse cette question des fuites sur les réseaux sociaux "ne se pose pas", explique à Europe1.fr Jean-Philippe Schaller, correspondant de la TSR à Paris. "Nous n’avons pas du tout le même système électoral. D’abord, il y a des élections tout le temps, à tous les niveaux, parfois sur tout et n’importe quoi".
"Les bureaux de vote ferment en général à midi, et le dépouillement a lieu très tôt. Pour les élections fédérales - qui sont les plus importantes du pays - on a ainsi une première estimation à 15 heures, et ensuite on affine, au fur et à mesure, jusqu’à obtenir un résultat quasi-définitif tard le soir. En somme, "il n’y pas d’heure légale, et tout le monde n’est pas rivé sur son poste de télévision à 20 heures", précise encore le correspondant qui ajoute: "En Suisse, on ne comprend pas la polémique en France, car on ne s’est jamais posé la question d’une heure de diffusion. D’ailleurs en 2002, nous avions annoncé la présence de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour avant 20 heures, et cela n’avait ému personne".
En Allemagne également, il y a "moins de cérémonial", estime Hélène Kohl la correspondante d’Europe 1 à Berlin. Pour le vote par correspondance par exemple, les Allemands qui ne peuvent pas venir dans l’isoloir envoient à l'avance leur bulletin de vote par voie postale. Dans certains cas, "ces voix peuvent être dépouillées avant ou après, sans que personne ne s’en offusque".
• Pas de sondage "sorties des urnes"
Ce qui pose problème en France - Des sondages sortie des urnes ou des estimations compilées après la fermeture des premiers bureaux à 18 heures, circulent dès 18h30, soit une heure et demi avant la clôture des grands bureaux de vote, à 20 heures. Le législateur estime donc que les derniers votant pourraient être influencés par la divulgation de ces sondages.
Ce qui se passe à l’étranger - Dans d’autres pays, s’il n’est pas question "de fuites" sur les réseaux sociaux avant l’heure fatidique, c’est tout bonnement "parce qu’il n’y a pas de sondages ‘sorties des urnes’, pas d’estimations", explique Isabelle Ory, correspondante d’Europe 1 à Bruxelles. En Belgique, "cela ne se fait pas. C’est la tradition", ajoute la journaliste. Les bureaux de vote belges ferment à 13 heures dans les petites villes et à 15 heures dans les bureaux dotés du vote électronique. "Mais le dépouillement se fait lentement, si bien que les premiers résultats ne tombent jamais avant 15 heures, quand tous les bureaux sont fermés. Les chiffres repris par les médias sont issus directement du ministère de l’Intérieur, qui publie les résultats des différents bureaux de vote au fur et à mesure. Et c’est à partir de cette base donnée par le ministère que les médias belges extrapolent pour donner une estimation nationale", explique-t-elle.
• Les bureaux de vote ferment à la même heure
Ce qui pose problème en France - Tous les bureaux de vote ne ferment pas à la même heure. Les "petits bureaux", fermés dès 18h, peuvent avoir terminé leur dépouillement avant 20 heures.
Ce qui se passe à l’étranger - Autre solution pour éviter les polémiques : fermer les bureaux de vote à la même heure. C’est le cas de la Grande-Bretagne. "Tous les bureaux ferment à 22 heures. Et, les médias donnent ensuite les résultats circonscription par circonscription, seulement quand tous les bulletins ont été dépouillés", explique Lucy, du bureau de la BBC à Paris, avant d’ajouter : "On découvre petit à petit les résultats, et cela peut être très long". "Il existe des sondages sorties des urnes, ‘des exit polls’. Mais nous ne les diffusons pas avant la fermeture des bureaux de vote. Car, réalisés avant la clôture, ils sont entachés par une importante marge d’erreur. Il n’y a donc pas d’intérêt aux fuites, parce qu’en général, le calcul des sondeurs n’est pas fiable à 100%. En somme, chez nous, le problème des fuites sur les réseaux sociaux ne se pose pas vraiment", conclut-elle.
• Quelle réflexion sur le web et les réseaux sociaux ?
Quelques "couacs Twitter" - Chez nos voisins européens, l’utilisation croissante des réseaux sociaux a toutefois posé problème dans certains cas. "La question s’est notamment posée, le 18 mars dernier, pour l’élection du président allemand. Joachim Gauck a alors été élu par une assemblée composée à part égale de députés du Bundestag et de délégués des Länder. Or certains députés ont tweeté les résultats avant le dépouillement final. Leurs tweets ont alors été repris par les médias. Le président du Bundestag a dû les rappeler à l’ordre", raconte Hélène Kohl.
Quid des Etats-Unis - Enfin, aux Etats-Unis, "la question ne se pose pas vraiment", explique Jean-Philippe Balasse, le correspondant d’Europe 1 aux Etats-Unis. "Pendant les primaires républicaines, Etat par Etat, il n'y a pas eu de fuites. Il faut dire qu'avec certains résultats très serrés, les medias ont préféré prendre leur temps", précise-t-il. Puis, le système est différent : lors des présidentielles, "tous les états ne votent pas exactement en même temps, notamment à cause du décalage horaire". Les résultats sortis des urnes ne sont alors pas valables pour l’ensemble du pays. Enfin, il n’est pas dans la culture américaine de vouloir "contrôler" les réseaux sociaux. Les Américains sont, en effet, très attachés à leur premier amendement, garantissant la liberté d’expression.