La mobilisation d’Ankara n’aura pas suffi. Les sénateurs français ont adopté lundi soir, au terme d'une longue séance de débat, la proposition de loi punissant la négation des génocides, en particulier génocide arménien, à l’origine d’une grave crise entre la France et la Turquie. Le texte sera promulgué d'ici 15 jours, a-t-on appris mardi auprès de l'Elysée.
Si les sénateurs sont apparus particulièrement divisés, tous partis confondus, une majorité a néanmoins été trouvée. 127 sénateurs ont voté "pour", 86 "contre". Dans le détail, le texte prévoit un an de prison et 45.000 euros d'amende en cas de contestation ou de minimisation de façon outrancière d'un génocide reconnu par la loi française. Nicolas Sarkozy promulguera la loi selon le délai normal de 15 jours, a indiqué mardi la présidence française.
"Il ne s’agit pas d’une loi mémorielle"
A l’ouverture de l’examen du texte, le ministre des Relations avec le Parlement, Patrick Ollier, a appelé lundi les sénateurs à adopter le texte porté par Nicolas Sarkozy. "Il ne s’agit pas d’une loi mémorielle", avait assuré le ministre, mais d’une loi qui "vise à remplir un vide juridique". "Seule la négation de la Shoah est pénalement réprimée. Est-ce normal ?", a encore demandé Patrick Ollier, qui a rappelé que la Shoah est un génocide reconnu par la loi depuis 1990, le génocide arménien depuis 2001.
Même argument avancé par le sénateur UMP Roger Karoutchi. "Comment pouvez-vous demander aux historiens de qualifier, de prendre la responsabilité de faire les choix des responsables politiques, est-ce que les responsables politiques ont peur de faire les choix eux-mêmes ?" a lancé l'ancien ministre de Nicolas Sarkozy.
"Atteinte aux libertés d’opinion et d’expression"
"La commission des lois a considéré qu'il n'appartenait pas à la loi, et en particulier à la loi pénale, d'intervenir dans le champ de l'Histoire et de disposer en matière de vérité historique", a répliqué son président, le socialiste Jean-Pierre Sueur. La commission des Lois du Sénat avait rejeté la semaine dernière le texte jugé "inconstitutionnel".
Jacques Mézard, président du groupe RDSE (à majorité radicaux de gauche), a quant à lui dénoncé "une opération électoraliste". "Demain sera-t-il question d’un génocide vendéen ? Mettrons-nous les espagnols et les Etats-Unis au pilori pour le massacre des Amérindiens ?", a demandé le sénateur.
La Turquie riposte dans la foulée
Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, entouré de ses collaborateurs, a attendu lundi soir la décision des sénateurs français pour mettre la dernière touche à la riposte de son gouvernement. Le ministre de la Justice a ainsi dénoncé un "manque total de respect" de la France.
Le chef de la diplomatie turc, Ahmet Davutoglu, a annoncé un nouveau train de représailles contre la France en cas de feu vert. "Penser que la Turquie imposera des sanctions et qu'ensuite elle les révisera, revient à ne pas connaître la Turquie", acteur régional et pays émergent, a-t-il prévenu. Après le vote des députés fin décembre, Ankara avait déjà gelé sa coopération militaire et politique avec Paris.
Dans une lettre adressée le 18 janvier à Tayyip Erdogan, avant le vote du Sénat, et rendue publique mardi par l'Elysée, Nicolas Sarkozy assure que ce texe "ne vise nullement un peuple ou un Etat particulier". "Je forme le voeu que la Turquie voudra bien prendre la mesure des intérêts communs qui unissent nos deux pays et nos deux peuples", ajoute le président français.