Après deux ans et demi d'enquête, le sénateur et président socialiste du conseil général des Bouches-du-Rhône, Jean-Noël Guérini, a été mis en examen jeudi à Marseille. En cause, des malversations présumées touchant à des marchés publics et impliquant son frère Alexandre, une affaire qui embarrasse le PS à huit mois de la présidentielle. "Nous allons contester la mise en examen de Jean-Noël Guérini dès demain (vendredi) devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence", a déclaré l'avocat. L'élu socialiste a quant à lui annoncé qu'il se mettait en congés du PS et déléguait "temporairement" une part de ses prérogatives de président du conseil général des Bouches-du-Rhône, poste dont il ne compte cependant pas démissionner. Europe1.fr revient sur le parcours de l'un des hommes politiques les plus influents de la région, patron du PS marseillais.
Le socialisme, une revanche
C'est après avoir quitté son village natal en Corse que Jean-Noël Guérini, âgé de 5 ans, son frère cadet Alexandre, et leurs parents déménagent à Marseille, dans le quartier du Panier. Un secteur devenu son fief électoral depuis plus de 30 ans. Issu d'un milieu modeste, - "A la maison, il n'y avait pas de la viande dans la soupe"- a-t-il raconté – et politiquement à gauche, Jean-Noël Guérini exprime sa soif de revanche très tôt et prend sa carte au Parti socialiste à l'âge de15 ans.
Sur place, il peut compter sur son grand-oncle, conseiller général du Panier, proche de Gaston Defferre, qui souhaite voir ses neveux suivre ses pas en politique.
Un baron local
C'est ainsi qu'en 1977, Jean-Noël Guérini devient conseiller municipal de Marseille. A partir de là, le jeune élu va gravir les échelons du pouvoir un à un. Il est élu conseiller général des Bouches-du-Rhône en 1982, maire du 2e secteur de Marseille en 1983, conseiller régional en PACA en 1992, puis sénateur et président du conseil général en 1998 (réélu en 2011).
Jean-Noël Guérini devient également membre du bureau national du PS et patron de la puissante Fédération socialiste des Bouches-du-Rhône. Seul bémol à cette ascension politique : le socialiste échoue dans sa conquête de la mairie de Marseille en 2007.
2009, le début des ennuis
L'affaire "Alexandre Guérini", déclenchée début 2009 par un courrier anonyme, cause alors des remous politiques et judiciaires pour Jean-Noël Guérini, soupçonné aujourd'hui d'être intervenu en faveur de son frère, patron d’une entreprise de traitement des ordures, dans un litige financier qui l'opposait à l'agglomération de Salon-de-Provence pour lui permettre d'agrandir l'une de ses décharges.
Les juges reprochent aussi au baron marseillais d'avoir fait obstacle à l'enquête en remplaçant des disques durs avant une perquisition au conseil général, et d'avoir recommandé à son frère de faire le ménage dans son bureau, après l'avoir averti de l'enquête.
Une situation devenue intenable sur le plan politique. Très vite un bras de fer s'engage avec la direction du PS. En mars 2011, le député PS de Saône-et-Loire Arnaud Montebourg dénonce dans un rapport un "système de pression féodal reposant sur l'intimidation et la peur" mis en place par Jean-Noël Guérini à la fédération PS des Bouches-du-Rhône, qu'il dirige. Le 31 mars 2011, à la suite des élections cantonales, Jean-Noël Guérini souffle un peu puisqu'il est réélu à la tête du conseil général, faisant le plein de voix. Mais mi-juillet, son directeur de cabinet, Rémy Bargès, est mis en examen pour "destruction de preuves" et le 1er juillet, Alexandre Guérini est à nouveau mis en examen, pour "blanchiment", dans un marché de photocopieurs.
Le 21 juillet, les choses s'accélèrent. Jean-Noël Guérini est remplacé par un proche, Jean-David Ciot, à la tête de la fédération PS des Bouches-du-Rhône. Le 12 août, le parquet de Marseille délivre un réquisitoire supplétif à l'encontre du sénateur, visant des délits de prise illégale d'intérêt, trafic d'influence et association de malfaiteurs. Six jours plus tard, un de ses avocats confirme sa convocation le 8 septembre, en vue d'une possible mise en examen. S'il devrait quitter ses responsabilités au sein du parti, Jean-Noël Guérini exclut en revanche d'abandonner la présidence du conseil général en cas de mise en examen, comme l'a demandé le premier secrétaire du PS par intérim Harlem Désir. La mise en examen jeudi du baron marseillais pourrait néanmoins donc changer la donne.
"Délit de fraternité" ?
Jean-Noël Guérini, fervent catholique – le trône du pape traînerait sur son bureau - pourrait payer cher aujourd'hui ses petits arrangements familiaux et un pouvoir "bâti sur la peur" que de nombreux socialistes locaux dénoncent depuis longtemps. Interrogé par Le Parisien, Pierre Orsatelli, porte-parole du collectif de militants baptisé "Renouveau PS13", décrit ce système : "Guérini gérait le parti en mélangeant systématiquement affaires et politique. Il écrémait la classe politique locale et était extrêmement clientéliste".
Une scène racontée par Ariane Chemin, journaliste au Monde, permet par ailleurs de mieux comprendre la nature de la relation entre Jean-Noël et Alexandre. Nous sommes en février 1993, dans le HLM familial des Guérini, à Marseille. Mal en point, la mère convoque ses deux garçons. "Vous êtes frères. Ne vous disputez jamais. La famille, c'est le plus important", leur dit-elle. Et en 2010, lors de l'incarcération de son frère, Jean-Noël Guérini se défend : "Mon frère sera toujours mon frère. Il n'existe pas que je sache de délit de fraternité."