La question ne pèsera certainement pas dans le choix des électeurs dimanche. Mais qu'ils élisent aux législatives un simple député ou un futur président de commission, voire un potentiel titulaire du Perchoir, leur décision ne pèsera pas tout à fait le même poids. Surtout si l'on parle 'gros sous'.
En théorie, les élus une fois sur les bancs du Palais Bourbon, seront tous logés à la même enseigne : ils cesseront de représenter leurs électeurs, pour incarner la Nation. Leur mission sera d'élaborer les lois. Voilà donc pour la théorie. Car la pratique se révèle un peu différente. Les députés - comme les sénateurs - disposent, en effet, de moyens financiers : ce sont les très opaques "réserves parlementaires". Sorte d’enveloppes substantielles que les députés se voient attribuer en début de mandature. Le hic : tous ne recevront pas la même somme.
Les très discrètes réserves parlementaires
Alors en quoi consistent ces réserves parlementaires ? Chaque année, l’Assemblée nationale et le Sénat sont dotés de fonds. Ces dotations sont ensuite attribuées aux groupes parlementaires. A l’Assemblée, il y a en quatre : l’UMP, le PS, le Nouveau Centre et la Gauche démocrate qui vont alors se partager un peu moins de 100 millions d’euros par an.
L’enveloppe du Sénat est un peu moindre. Un texte présenté en début d’année à l’Assemblée (lire ici) évoquant ces réserves fait état de 55 millions pour la Chambre Haute.
Ces fonds sont ensuite répartis entre les députés désireux de soutenir des projets locaux. Aider une association, refaire une salle des fêtes, agrandir une école, etc. Exemple : une école de votre circonscription a besoin de refaire un toit : votre député présente alors une requête sur sa réserve parlementaire et la dépense est inscrite sur une ligne budgétaire d’un ministère.
Une répartition qui n’a rien d’égalitaire
Mais, les députés ne sont pas tous en position d’être généreux. "En 2012, un député de l’opposition se voyait en moyenne attribuer 30.000 euros… Pas de quoi aller bien loin", confie à Europe1.fr le collaborateur d’un député.
"En revanche, un élu de la majorité pouvait, lui, espérer lors de la même législature 100.000 euros de réserves. Et s’il était gentil avec son groupe, c’est-à-dire s’il votait selon les consignes, il pouvait évidemment obtenir plus", explique-t-il encore, avant d’ajouter : "On le voit bien ici : les réserves constituent aussi une manière stratégique, très efficace, de tenir une majorité. De négocier avec les membres de son groupe, sur le mode…’Si tu rentres dans le rang, ton président de groupe pourrait t’accorder un peu plus’".
"Ma réserve parlementaire n’était pas très élevée, mais je me suis bien débrouillé. Comme j’ai toujours bien voté et que je ne faisais pas d’histoire. J’ai donc récupéré 700.000 euros", confirme dans les colonnes de Sud Ouest un député du Nouveau centre.
Certains "postes" sont également mieux lotis. "Les présidents de commission touchent environ 2 millions. C’est plus encore pour le président de la Commission des finances", rapporte un assistant de député UMP.
Le Canard Enchaîné du 3 décembre 2008 donne des chiffres encore plus précis : Jean Arthuis (président de la commission des finances du sénat) aurait touché cette année là 4 millions d'euros, Philippe Marini (le rapporteur de la commission) 3,9 millions d'euros et Didier Migaud (président de la commission des finances) 2 millions d'euros.
"Royal pourrait être Papa Noël pour les Rochelais… "
"Et le jackpot, ce sont les 6 millions pour le président de l’Assemblée !", renchérit le collaborateur d’un député.
Prenons un exemple… A tout hasard celui de La Rochelle. "Si Ségolène Royal emporte l’élection, puis le perchoir, elle aura la possibilité de distribuer 6 millions d’euros de subvention aux associations et aux localités qui en ont besoin… et en particulier celles de sa circonscription. Comme Bernard Accoyer à son époque, elle sera le ‘Papa Noël pour les Rochelais’. En revanche, si c’est son adversaire le dissident PS Olivier Falorni qui l’emporte. La donne sera différente : en tant que simple député son enveloppe ne sera que 100.000 euros", argumente-t-il.
Un système opaque
"Ces pratiques sont encore plus courantes au Sénat, où tout peut s’acheter", poursuit-il. "Les sénateurs élus par des élus sont en effet très sensibles à la subvention. Mais cette pratique pose toutefois problème… C’est du clientélisme à l’état pur", finit-il par lâcher.
"Les députés sont devenus des Père Noël, certains arrosent carrément leur circonscription", ajoute-t-il.
Ce système de réserve est également très opaque. "Certaines années, les documents internes étaient passés à la broyeuse", a récemment reconnu un ancien proche de la commission des finances à Sud Ouest.
Pour réguler ces pratiques - ou du moins les rendre plus transparentes -, la députée socialiste Michèle Delaunay avait proposé, en février dernier, un texte "visant à instituer un cadre légal et transparent pour les réserves ministérielles et parlementaires". Aujourd’hui au gouvernement, sera-t-elle s’en souvenir et remettre la question à l’agenda ?