Le nom d’Edith Cresson n’évoque pas franchement la notion de réussite au poste de Premier ministre. L’ex-commissaire européen reste dans les mémoires comme la plus éphémère des locataires de Matignon, avec 10 mois et 17 jours en place, entre mai 1991 et avril 1992. Alors quand certains comparent Jean-Marc Ayrault à sa devancière, comme Libération s’en est fait l’écho mercredi, cela n’a évidemment rien d’un compliment.
En fait, ça veut dire quoi, "cressonisation" ?
Le mot fait évidemment référence à Edith Cresson. Durant ces 10 mois et 17 jours à Matignon, cette proche de François Mitterrand a multiplié les fautes de communication, parfois les fautes de goûts, devenant le contre-exemple à ne pas suivre.
"Edith Cresson était connue pour ses formules un peu à l’emporte-pièce", confirme à Europe 1.fr Stéphane Rozès, président de Conseil, analyses et perspectives (CAP). Elle a ainsi comparé à deux reprises les Japonais à "des fourmis" et affirmé que l’homosexualité, "différente et marginale", était plus proche "des coutumes anglo-saxonnes".
Antenne 2 résumait à l’époque les dix mois d’Edith Cresson :
La seule femme Premier ministre de l’histoire de France est ainsi devenue le symbole de maladresses, mais aussi du manque d’autorité sur ses ministres. Depuis Bercy, Pierre Bérégovoy, qui lorgnait Matignon, lui rappellait en permanence, et souvent publiquement, la prévalence de sa politique de rigueur sur toutes les autres décisions. Elle s’accrochait aussi avec son ministre de l’Education, un certain Lionel Jospin, au sujet d’une réforme inspirée du modèle allemand.
Au final, personne, sinon François Mitterrand, ne soutient Edith Cresson. Les critiques fusent, aussi bien de la gauche que de la droite, et le groupe parlementaire socialiste la lâche. Le tout sur fond de sexisme ordinaire. La défaite aux élections régionales de mars 1992 sonne le glas du gouvernement Cresson. Et c’est une femme humiliée, impopulaire comme jamais -76% des Français ne lui faisaient plus confiance selon TNS-Sofres - qui quitte Matignon, laissant la place à l’un de ses ennemis, Pierre Bérégovoy.
La passation de pouvoir Cresson-Bérégovoy :
Qui emploie le mot ?
Publiquement, presque personne. Dans les coulisses en revanche, ce disgracieux néologisme est utilisé par nombre d’élus, et dans tous les camps. C’est un député UMP de Belfort qui, selon Le Monde, a ouvert les hostilités après le discours de politique générale de Jean-Marc Ayrault, début juillet. "Ayrault, c'est Edith Cresson en pantalon", a-t-il raillé.
Depuis, le vocable est utilisé en "off" tant par des députés UMP que, à en croire Libération, par certains ministres soucieux de leur carrière. L’un des rares à avoir publiquement utilisé le mot est Jean-Luc Mélenchon. "Ce pauvre Ayrault m’a l’air en voie de "cressonisation" médiatique, écrivait-il fin août dans un billet de blog.
En guise de consolation, Jean-Marc Ayrault pourra se dire que nombre de Premiers ministres ont eu droit à ce bien péjoratif qualificatif lors des premiers mois de leur mandat. "Après six mois calamiteux, le voilà enfin sorti de la ‘cressonisation’", jugeait ainsi Libération dans un article du 17 novembre 1995 au sujet d’Alain Juppé.
En voie de "cressonisation" ?
Ceux qui accusent Jean-Marc Ayrault de "cressonisation" pointent donc principalement sa maladresse et son manque d’autorité. Ils s’appuient là sur les récents couacs gouvernementaux, que la gaffe du Premier ministre, annonçant quelques heures avant son officialisation, une décision du Conseil constitutionnel. En l’espèce, le parallèle peut apparaître pertinent.
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Sauf que la situation des deux Premiers ministres est bien différente. Là où Edith Cresson était lâchée, et même torpillée, par sa propre majorité, Jean-Marc Ayrault peut compter, du moins pour l’heure, sur la fidélité de son camp. "Cresson n’aurait jamais eu de manifestation de solidarité du groupe. Ayrault, si", résumait mercredi un député PS dans Libération.
Sur la forme, également, les deux personnalités sont opposées. "Jean-Marc Ayrault est très loin des formules chocs d’Edith Cresson", rappelle Stéphane Rozès.
Et puis il y a, aussi, des raisons plus profondes. "Edith Cresson tenait un discours à gauche, alors que sa politique restait déterminée par la politique de désinflation compétitive de M. Bérégovoy. Du coup, elle s’est mise à dos l’électorat plus centriste, sans convaincre les catégories populaires", explique le politologue. "Il n’y a pas chez Jean-Marc Ayrault d’écart entre la politique qu’il mène et ce qu’il dit. Ce qu’on lui reproche, c’est la difficulté à tenir l’harmonie et la cohérence gouvernementale", conclut l’expert.