L’étau se resserre autour de Claude Guéant. Depuis que le Canard enchaîné a révélé l’existence d’un virement de 500.000 euros depuis l’étranger vers son compte, ainsi que "de nombreux paiements en liquide", l’ancien ministre de l’Intérieur martèle chaque jour un peu plus son innocence et évoque la vente de tableaux et l'existence de primes. Mais sa ligne de défense tient de moins en moins. Le ministère de l'Intérieur vient d'ailleurs d'ouvrir une enquête, "à la demande du Premier ministre" et dont les résultats définitifs sont attendus d'ici "un mois".
Une obligation passée à la trappe. Pour justifier ce versement de 500.000 euros, Claude Guéant a assuré avoir vendu deux toiles de maître. Problème : toute vente d’un tableau d'une valeur supérieure à 150.000 euros nécessite la délivrance d’un certificat du ministère de la Culture pour être autorisé à sortir de France. Cette obligation se justifie par la volonté de conserver sur le territoire français certaines œuvres considérées comme des "trésors nationaux". Or Claude Guéant n’en a pas fait la demande.
Reste une hypothèse qui expliquerait cet oubli, qui alors n’en serait plus un : l’avocat malaisien acquéreur des tableaux pourraient les avoir laissés en France. Une théorie à laquelle ne croit pas Didier Rykner, historien de l’art et patron du site La tribune de l’art, contacté par Europe 1, jeudi soir : "il les a vendus à un confrère malaisien, le virement vient de l’étranger, ce qui veut dire que les œuvres sont sorties de France. Or, si c’est le cas, cela veut dire qu’il est en faute et c’est un délit passible de 2 ans d’emprisonnement et 450.000 euros d’amende", rappelle l’expert.
Des tableaux surévalués. C’est le deuxième écueil de la défense de l’ancien ministre. Si il assure avoir récupéré 500.000 du fruit de cette vente, les experts sont nombreux à douter de ce chiffre. Selon la société Artprice, numéro un mondial des données sur le marché de l'art, la "valeur type" d'une huile sur bois de 30 sur 60 cm du peintre Andries van Eertvelt représentant des bateaux en mer, comparable aux tableaux évoqués par Claude Guéant, "est de 15.127 euros". Pour aboutir à ce résultat, le département Econométrie d'Artprice a retenu l'ensemble des peintures de cet artiste flamand du 17e siècle passées en ventes aux enchères publiques depuis 1989 et présentant des caractéristiques similaires aux deux œuvres décrites par l’ancien premier flic de France, indique la société française.
L’historien de l’art Didier Rykner ne dément pas ses confrères, bien au contraire : "l’artiste est assez peu connu mais il est vrai qu’il a obtenu un prix de 180.000 euros à Amsterdam. Ce qui parait en revanche curieux, c’est qu’il parle de petits tableaux, et c’est assez peu probable qu’il ait vendu deux tableaux aussi petit 250.000 euros chacun. Mais on ne peut pas l’affirmer", explique le patron du site La tribune de l’art.
Un système de primes nié par plusieurs ministres. Ce sont des "primes de cabinet dont j'avais bénéficié au ministère de l'Intérieur quand j'y officiais", a assuré Claude Guéant pour justifier la découverte de paiements en liquide. Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur sous Lionel Jospin jusqu'en 2002, a frappé le premier : "Je suis catégorique, le système des primes en espèce a cessé fin 2001, début 2002", a affirmé l'actuel maire du 18e arrondissement de Paris au micro d'Europe 1, mardi.
Roselyne Bachelot lui a emboîté le pas quelques heures plus tard. "C'est absolument impossible d'avoir touché des primes de cabinet à partir de 2002 (…) Soit c'est un menteur, soit c'est un voleur", a taclé son ancien collègue au gouvernement, sur D8. Jeudi, c’est Rachida Dati qui a enfoncé le clou, dans Le Monde : "elle n'a jamais touché de primes en liquide", assuré son entourage. Chantal Jouanno a clôturé le bal. "Je ne touchais que des primes sur mon compte bancaire ; rien en liquide", a certifié l’ancienne ministre des Sports, qui a également fait partie du cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur de 2002 à 2004.
Une enquête ouverte place Beauvau. Pour tirer au clair cette affaire, Manuel Valls, l'actuel locataire de la place Beauvau, a annoncé jeudi soir avoir ordonné une enquête administrative. Selon un communiqué, "des déclarations publiques jetant le doute sur le bon usage" des frais d'enquête et de surveillance, le ministre a, "à la demande du Premier ministre, ordonné une enquête administrative". Un premier rapport d'étape a été demandé sous huit jours, et un rapport complet sous un mois, précise-t-il
Dans son communiqué, l'Intérieur juge qu'"il appartient aux responsables (...) de l'époque de s'expliquer sur le fait que, selon certaines déclarations, cette réforme vertueuse et connue de tous n'aurait pas été appliquée à tous les membres du cabinet (...) après mai 2002 et que des primes en espèces auraient été attribuées". Par ailleurs, "l'usage légitime des frais de police, officiellement dénommés 'frais d'enquête et de surveillance', doit être strictement contrôlé", juge l'Intérieur.