Contexte. Le projet européen séduit de moins en moins les Français, et c’est rien de le dire : seulement 42% d’entre eux considèrent que l’appartenance à l’Union européenne est une bonne chose, selon un sondage réalisé fin février par OpinionWay pour LCI et Le Figaro. Un rejet qui se retrouve aux quatre coins de l’union, et qui porte un nom : l’euroscepticisme. Pour l’heure, on estime qu’une grosse centaine d’élus du Parlement européen ne croient pas en l’Europe. Qu’en sera-t-il après les élections du 25 mai prochain ?
Le Front national se frotte déjà les mains. En France, Marine Le Pen a fait de la dénonciation de l’Europe l’un de ses principaux fonds de commerce - avec l’immigration. Lors de son discours du 1er mai, la patronne du FN se tenait ainsi devant une affiche géante où l’on pouvait lire : "Non à Bruxelles, oui à la France." Son objectif est clair : proclamer que son mouvement est "le premier parti de France". Et pour le moment, les sondages accréditent son ambition.
Élue au parlement européen - comme son père et Bruno Gollnisch - depuis 2004, Marine Le Pen va tenter de se faire réélire dans la circonscription Nord ouest. Et elle entend bien quadrupler, au moins, le nombre d’eurodéputés frontistes : "je pense que nous en aurons entre 15 et 20 et nous aurons un groupe. Je vais organiser un groupe pour lutter contre les avancées terrifiantes de l'Union européenne avec un certain nombre de mouvements patriotes dont certains sont donnés en tête dans leurs pays", a-t-elle estimé lundi matin sur France Info. Former un groupe, c’est désormais l’obsession de la patronne du FN, qui a lancé des discussions avec de nombreux partis d’extrême droite en Europe, et ce depuis des mois. Elle devrait parvenir à ses fins, mais ça se fera sans le médiatique Nigel Farage, leader des europhobes anglais, qui a repoussé sa drague répétée.
La star des europhobes, c’est lui. Député européen depuis 15 ans, le chef du parti nationaliste Ukip a déclaré que "l'antisémitisme est inscrit dans l'ADN du FN", et que le parti français est donc incompatible avec lui. Une position stratégique. Comme une certaine… Marine Le Pen, Nigel Farage fait lui aussi tout ce qu’il peut pour rendre respectable son mouvement, assimilé à la droite extrême. Exit donc tel ou tel candidat ayant invité les Africains "à s'entretuer", dénoncé "l'islam diabolique" ou encore qualifié des inondations de "châtiment divin" après la légalisation du mariage gay. S’afficher bras dessus bras dessous avec le Front national irait contre le travail entrepris, a-t-il estimé, au grand dam de Marine Le Pen.
Nigel Farage s’est définitivement imposé dans le paysage politique anglais, eurosceptique par nature. Les derniers sondages le donnent même en tête, devant les grands partis traditionnels. L’homme a du bagout et le sens de la formule. Il s'est notamment illustré en jetant à la face du président de l'Union européenne Herman Van Rompuy : "sans vouloir être désagréable, qui êtes vous? Vous avez le charisme d'une serpillière mouillée".
Du charisme, Nigel Farage en a au moins autant que de l’ambition. Après avoir, espère-t-il, renforcé sa position à Bruxelles, il tentera de convaincre ses concitoyens de sortir de la zone euro lors du référendum promis par David Cameron pour 2017.
Quid de nos autres voisins ? En Allemagne, l’euroscepticisme n’a longtemps pas eu le droit de cité. Mais lors des dernières élections législatives de septembre 2013, Bernd Lucke a lancé l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) dans le paysage politique national et a récolté 4,7 % des suffrages, ratant de peu l’entrée au Bundestag. Les élections européennes pourraient lui offrir une belle revanche : selon les derniers sondages, il est crédité de 5 % à 7 % des intentions de vote. Il pourrait donc obtenir entre 4 et 6 élus au prochain parlement européen, une vraie surprise dans un pays longtemps "eurobéat".
Les Néerlandais, eux, sont davantage prévenus. Le parti anti-européen de Geert Wilders (PVV) - allié de la première heure du Front national - est en effet en tête des sondages aux Pays-Bas, avec 18,1% d’intentions de vote. Elu en 2009 à Strasbourg, il s’est notamment fait connaitre pour sa détestation de l’Islam, ce qui a contraint Marine Le Pen à prendre (quelques) distances, assurant qu’elle n'aurait "pas tenu ces propos" tout en considérant que "chacun est libre dans son pays de mener sa politique nationale".
En Italie, "le mouvement cinq étoiles" de Beppe Grillo grimpe lui aussi dans les sondages. Son discours antisystème, sa volonté de bâtir une "autre Europe", à partir notamment d'un référendum sur l'euro, de l'abolition du pacte de stabilité et de l'équilibre budgétaire, rencontre de plus en plus d’écho, surtout chez les plus jeunes. Si l’ancien humoriste ne se fixe pas d’objectif, il sait qu’il s’avance sur un terrain propice : 63 % des Italiens estiment en effet que leur pays a "tiré plus de désavantages que d'avantages de l'Europe" et 77 % n'ont "aucune confiance" dans les institutions communautaires.
Pourquoi ils ne pèseront pas. Depuis les élections européennes de juin 2009, le règlement du Parlement européen a été modifié et il faut désormais 25 députés - contre 20 auparavant - provenant d'au moins un quart des États membres pour former un groupe. Les eurosceptiques pourront donc, sans aucun doute, se réunir. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils vont peser davantage, et ce pour plusieurs raisons.
La première tient à l’hétérogénéité politique de ces mouvements, qui vont de l’extrême droite - le plus souvent - à l’extrême gauche en passant pas les ultra-libéraux ou les souverainistes. Impossible dès lors d’adopter une position et un discours commun sur les textes en discussion dans l’hémicycle strasbourgeois. Pour preuve, au sein du Parlement issu des élections de 2009, ces eurosceptiques siégeaient dans quatre groupes politiques différents, ce qui les marginalise totalement.
Une autre explication tient à l’effacement du traditionnel clivage droite-gauche à Bruxelles. Si les eurosceptiques seront certes minoritaires, ils pourraient toutefois jouer un rôle d’arbitre entre le Parti populaire européen (PPE) et le Parti socialiste européen (PSE). Mais, comme l’a expliqué sur Atlantico Olivier Costa, directeur d’études au Collège d’Europe, cela aurait été "possible seulement dans le cas où le PPE et le PSE ne sont pas d'accord. Or, sitôt que le fonctionnement de l'UE est mis en péril, les deux partis trouvent toujours le moyen de coopérer."
La dernière raison tient dans la difficulté d’exister au Parlement européen quand on y est hostile. Beaucoup d’eurodéputés ne prennent même pas la peine de se déplacer. Jean-Marie et Marine Le Pen sont, par exemple, parmi les parlementaires les moins assidus. D’autres font acte de présence, mais participent très peu, soient par désintérêt, soient parce que leurs collègues les empêchent. Leur poids potentiel ne dépendra donc pas tant de leur nombre d’élus que de leur capacité à s’investir dans le mandat qui leur aura été confié.
Les amoureux de l’Europe peuvent donc dormir sur leurs deux oreilles : "quoiqu'il arrive, même si l'euroscepticisme progresse partout en Europe, la majorité au Parlement Européen ne sera pas eurosceptique", a tranché dans Le Figaro Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite. Une bonne nouvelle également pour François Hollande qui, en octobre 2013, estimait que "le Parlement européen peut, en mai prochain, être pour une large part composé d’anti-européens."
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