Le Pen et l'écologie : "un habillage vert, rien de plus"

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LE POINT DE VUE DE - Stéphane François, historien des idées, juge le collectif "Nouvelle écologie" créé par la présidente du FN pour l'aider à fabriquer son programme vert.

En 2012, l'écologie n'occupait pas une place centrale dans le programme de Marine Le Pen, et c'est sympa de le dire comme ça… En vue de la présidentielle de 2017, la présidente du FN veut remédier à cet état de fait et a donc chargé le collectif "Nouvelle écologie" de se creuser les méninges pour lui faire des propositions concrètes. De là à dire que Marine Le Pen est une écologiste, il y a un (grand) pas à franchir. On ne s'y aventurera pas.

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Se trompe-t-on en assimilant l'écologie à la gauche ?
 Absolument ! Si, politiquement, nombre d'écologistes se classent sincèrement à gauche, une bonne partie de leurs valeurs sont conservatrices, donc relevant plutôt d'un imaginaire plutôt de droite. Cela me rappelle la thèse de Thomas Keller (politologue spécialiste de la question écolo, Ndlr) sur les écologistes allemands, les Grünen, parue à la fin des années 80, qui parlait de "conservatisme des valeurs" à ce sujet. L'écologie, par ses thèmes et ses valeurs, relève donc plutôt d'un univers mental de droite, issu du romantisme (et donc rejetant le libéralisme économique et philosophique des Lumières). En France, Antoine Waechter n'est pas connu pour ses positions gauchistes, ou plus largement de gauche… Il est, en outre, connu pour ses propos condamnant le positionnement à gauche de ses anciens camarades des Verts.

Comment se situe Marine Le Pen sur cette thématique ?
 Je suis bien incapable de vous parler de sa position pour la simple et bonne raison qu'elle n'a jamais eu de discours écologiste ! Prôner les circuits-courts, comme elle le fait, n'a rien à voir avec de l'écologie. C'est simplement une réflexion de bon sens pour éviter qu'une pomme soit produite en Chili et prenne l'avion pour être mangée en France. Il n'y a aucune réflexion concernant la protection de la nature derrière cela. Concernant le FN, c'est plutôt une concrétisation de leur nationalisme, rien de plus. En outre, il faut garder à l’esprit qu’une pomme produite localement peut très bien être cultivée avec force de pesticide ou d’engrais… Une production locale n’est pas synonyme de "bio" ou de qualité.

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Elle n'est donc pas écologiste ?
 Elle sera écologiste quand elle s'opposera aux centrales nucléaires, l’un des combats fondateur de l’écologie politique dans les années 1970 et une constante depuis. Elle sera écologiste quand elle s'opposera à la destruction de la nature via l'exploitation des gaz de schiste (y compris sans fragmentation). Il faudrait aussi qu'elle abandonne un jour son discours productiviste pour un discours plus ouvertement respectueux de la nature, et pas uniquement une défense des paysages. Ce qu'elle fait aujourd'hui, c'est mettre un habillage vert à un discours productiviste, rien de plus. Il ne faut oublier que la matrice idéologique du FN est le libéralisme et le poujadisme. Jean-Marie Le Pen, qui s’est qualifié de "Reagan français", n’a jamais caché son scepticisme quant à l’écologie. Le seul moment où le FN développa un discours écologiste fut le début des années 1990 sous l’impulsion de Bruno Mégret, issu des rangs de la Nouvelle Droite.

Marine Le Pen

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L'écologie n'aurait donc pas sa place à l'extrême droite ?
 Pas du tout, d'autres tendances de la droite radicale s'y intéressent depuis fort longtemps. Le meilleur exemple est la Nouvelle Droite. Au départ, dans les années 70, le Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne (Grece) avait une conception très technophile de la civilisation européenne, soit un discours résolument anti-écolo. Puis il y a eu un basculement, on peut même parler de renversement des valeurs, au début des années 80. Et à la fin de la décennie, les grecistes avaient un discours écologiste tout à fait cohérent et construit, au fondement anti-occidental et anti-Lumières. Et aujourd'hui, Alain de Benoist (considéré comme la tête pensante du mouvement, Ndlr)  évolue vers la décroissance et le survivalisme.

Y a-t-il d'autres exemples ?
D’autres tendances, en particulier nationalistes-révolutionnaires - pour faire simple "fasciste de gauche" - tentèrent au début des années 1990 d’infiltrer les milieux écologistes, mais ce fut un échec. Enfin, Laurent Ozon, théoricien identitaire de la remigration et issu des rangs néo-droitiers, anima dans les années 1990 une revue "Le recours aux forêts", qui publia des articles de théoriciens de l’écologie ou de la décroissance et qui fut membre du parti d’Antoine Waechter. Il fut même proche, comme Alain de Benoist, de Teddy Goldsmith, le fondateur de The Ecologist, l’une des plus vieilles revues écologistes, dont il existe une version française. Ozon dirigea même une collection chez l’éditeur écologiste Le Sang de la terre, un éditeur réputé de ce milieu. On ne peut guère dire qu’il s’agit d’un intérêt récent…

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Quels sont les thèmes écolo portés par ces mouvements radicaux ?
 Pour les gens qui gravitent autour du Grece, ou plus généralement de la mouvance identitaire, ils partent du constat que le système de développement né des Lumières, celui que nous connaissons, est voué à l'échec, que le monde est fini et que les ressources naturelles vont s'épuiser petit à petit. Leur conclusion : il faut changer de civilisation et se tourner vers un mode de vie plus frugal, respectueux de la nature et économe quant aux matières premières. Ils sont complètement dans la lignée du discours des décroissants, contre le gaspillage et l'obsolescence programmée. A cela, il faut ajouter qu’ils ont un discours différentialiste provenant des thèses de Claude Lévi-Strauss, prônant le respect des cultures et leur intégrité dans le cadre de leurs aires civilisationnelles. Enfin, ils sont résolument antijacobins, et donc en opposition avec le néojacobinisme du FN, promouvant les identités régionales, dont le respect des langues régionales, et l’idée d’un empire européen contre le nationalisme.