"Sur proposition du Premier ministre, le président de la République a nommé…". Par ces mots, comme c’est la tradition, le secrétaire général de l’Elysée Pierre-René Lemas a présenté les 16 ministres du gouvernement Valls. Si en droit, l’article 8 de la Constitution oblige effectivement le chef de l’Etat à attendre les propositions du nouveau Premier ministre pour nommer les membres du gouvernement, dans la pratique, ce point est interprété différemment au gré des relations au sein du couple exécutif.
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Jean Garrigues, professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Orléans, explique qu’il y a en effet deux types de relations entre le Premier ministre et son président. "Il y a le cas de duopole de collaboration, où le Premier ministre se met au service du président comme avec Nicolas Sarkozy et François Fillon, et celui d’un duopole de cohabitation, entre deux couleurs politiques mais aussi deux personnalités du même bord, comme ça va être un peu le cas aujourd’hui avec Hollande et Valls, sans doute rivaux au niveau des ambitions." Mais dans tous les cas, Olivier Duhamel estime que "le président de la République a toujours pesé d’un poids très prépondérant dans la fabrication des gouvernements, excepté les périodes de cohabitation, c’est-à-dire lorsque la majorité de l’Assemblée nationale lui était opposée, à la suite d’élections législatives perdues."
1968, "Allez dire à Monsieur le Premier ministre qu’il est consulté". 10 Juillet 1968. Charles de Gaulle, alors président de la République, vient de placer Maurice Couve de Murville à la tête du gouvernement. Le général a « une interprétation présidentialiste de la Constitution qu’il peut assumer car il est l’homme du 18 juin 1940 », explique Noélline Castagnez, maître de conférences à l’université d’Orléans. Il n’a aucune intention de partager le droit de choisir les ministres avec Maurice Couve de Murville. Il interpelle alors un haut-fonctionnaire et lui glisse : "Allez dire à Monsieur le Premier ministre qu’il a été consulté". Une façon habile de s’imposer et de décider seul de la composition du gouvernement. "Ce n’est pas la première fois que de Gaulle impose ses choix, lorsqu’il était Premier ministre, Pompidou lui-même avait été censuré par le Parlement (en octobre 1962), mais de Gaulle l’avait maintenu", rappelle Noélline Castagnez.
1974, VGE met Chirac sous surveillance. En 1974, Valéry Giscard d’Estaing est élu grâce au soutien de Jacques Chirac, nommé Premier ministre. Pour Jean Garrigue, "la composition du gouvernement de l’époque traduit la volonté de VGE de limiter la marge de manœuvre de Chirac. Le numéro 2 du gouvernement, c’est Poniatowski (ministre de l’Intérieur) et à la Justice c’est Jean Lecanuet. Tous les grands ministères vont aux proches du président."
1988, Rocard en terrain hostile. Durant son septennat, Mitterrand, pourtant pourfendeur (dans son livre Le coup d’Etat permanent) du présidentialisme incarné par le général de Gaulle, va finalement adopter la même attitude une fois installé à l’Elysée. En témoigne ce qu’il s’est passé en 1988 entre le chef de l’Etat et son Premier ministre Rocard. Jean Garrigues rappelle que Michel Rocard avait été choisi "sous la pression de l’opinion publique" alors que "Mitterrand espérait son échec. La composition du gouvernement lui avait été imposée par le président qui avait placé ses proches : Lionel Jospin, Pierre Bérégovoy, Maurice Faure ou encore Roland Dumas. Quelle que soit la popularité du Premier ministre, sauf cohabitation, c’est malgré tout le président qui impose ses vues." Une vision confirmée par le politologue Olivier Duhamel : "en période normale, l’article 8 a été interprété de façon très présidentialiste. Le président décide pour l’essentiel de qui est ministre, et qui ne l’est pas. Et le président de la République révoque le Premier ministre à sa guise - pouvoir que ne lui confère pourtant pas la constitution. En période dite de cohabitation, c’est tout le contraire. La constitution s’applique pleinement. Le Premier ministre propose les ministres de son choix, le président entérine, sauf en politique étrangère et Défense nationale où il peut récuser tel ou tel - ce qui fit François Mitterrand en 1986."
2007, Fillon le collaborateur. "Le Premier ministre est un collaborateur. Le patron, c’est moi". Par ces mots prononcés lors d’une interview donnée à Sud-Ouest, Nicolas Sarkozy ne laisse pas de place au doute quant à ses relations avec François Fillon. Un rapport de domination confirmé par la composition du gouvernement. "Le gouvernement d’ouverture et de la diversité avec les Rama Yade, Fadela Amara et Rachida Dati, c’est une idée de Sarkozy. Hortefeux puis Guéant place Beauvau, c’est pareil, ces choix attestent du poids décisif du président de la République", commente Jean Garrigues.
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Un gouvernement 100% Hollande ?par Europe1fr2014. Aujourd’hui ce serait donc la même logique qui aurait guidé les choix dans la composition du gouvernement. Jean Garrigues estime que François Hollande "a installé sa garde rapprochée autour de Manuel Valls". En effet, même si le nouveau Premier ministre a des alliés de circonstance dans la jeune garde avec Hamon et Montebourg, "le maintien de Stéphane Le Foll, l’entrée de Rebsamen et la promotion de Michel Sapin traduisent une volonté de verrouiller le gouvernement, non seulement vers une efficacité exécutive mais aussi vers une surveillance du Premier ministre. C’est vraiment quelque chose de récurrent dans la Vème république, particulièrement dans ces situations où deux egos cohabitent".
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