Le projet de loi ouvrant le droit au mariage et à l'adoption pour les couples homosexuels a été voté mardi, lors d'une dernière lecture à l'Assemblée. Mais les "antis" ont déjà préparé leur riposte. Aussitôt le texte voté, les sénateurs UMP ont annoncé la saisine du Conseil Constitutionnel.
Le texte a-t-il des chances d'être retoqué ? Rien n'est moins sûr... mais rien n'est joué non plus. Europe1.fr a soumis les arguments des "antis" aux constitutionnalistes Guy Carcassonne, Didier Maus ainsi qu'au juriste et politologue Olivier Duhamel.
Le mariage, "pas de la compétence du Conseil"
Les opposants au texte vont d'abord essayer de convaincre du caractère constitutionnel du mariage. Ils estiment qu'une telle institution ne peut être réformée que par une révision de la Constitution. "Il sera bien entendu question du caractère constitutionnel du mariage", confirme ainsi Patrice Gélard au Figaro. Mais pour les spécialistes interrogés par Europe1.fr, l'argument n'a aucune chance de porter. "Le mariage entre un homme et une femme n'a jamais été considéré comme un droit fondamental. Il relève donc du législateur et non du Conseil constitutionnel", explique Guy Carcassonne.
Le Conseil constitutionnel lui-même a reconnu, en juin 2011, que le mariage homosexuel n'était pas de son ressort. Saisi, à l'époque, par deux femmes qui souhaitaient se marier, les Sages ont estimé que la Constitution n'imposait certes pas d'ouvrir le mariage aux couples de même sexe… mais qu'elle ne l'interdisait pas non plus. "Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur", souligne précisément l'arrêt. Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel, l'a d'ailleurs répété sur Canal+, le 23 janvier dernier. "C'est aux élus de la nation de dire quelle forme ils veulent donner au mariage, c'est de leur responsabilité. C'est de la compétence du Parlement, pas de la compétence du Conseil constitutionnel."
Des incohérences autour de l'adoption
Autre argument sur lequel ont planché les "antis" : la question de la filiation. "Il n'est pas exclu que le Conseil constitutionnel opte pour quelques rectifications" sur ce sujet, espère ainsi l'UMP Patrice Gélard, interrogé par Le Figaro. "Pour apaiser le débat, il pourrait revenir sur l'adoption plénière ou la question de l'intelligibilité de la loi", poursuit l'élu. De l'avis des spécialistes comme des opposants au texte, il s'agit de la faille la plus solide du projet de loi Taubira.
Le texte qui doit être voté mardi autorisera en effet l'adoption plénière par les couples homosexuels. Celle-ci rompt tout lien juridique avec les parents biologiques. Elle aboutit à établir un nouvel acte de naissance de l'adopté et à supprimer l'ancien. Les enfants de couples gays en adoption plénière ne disposeront donc que d'un état civil les faisant apparaître comme "né de" deux personnes de même sexe.
Or, cela est contraire au droit français de la filiation. En effet, ce dernier stipule, en particulier l’article 310 du code civil, que "tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère". Les mots "père et mère" sont donc bien écrits. Et cette mention a déjà fait jurisprudence. En juin 2012, la Cour de cassation l'a brandie pour refuser une adoption plénière à deux couples homosexuels qui voulaient adopter des enfants déjà adopté à l'étranger.
L'ombre de "l'incompétence négative"
Le hic, c'est que le gouvernement refuse de réformer ce droit à la filiation, pour ne pas créer davantage de polémique. Si la loi sur le mariage et l'adoption pour les couples gays est adoptée, existera donc dans le code civil plusieurs articles contradictoires. Un stipulant qu'un enfant peut être "né de" personnes du même sexe. Un autre qui exige que tous les enfants aient les mêmes droits et devoir "dans leurs rapports avec leur père et mère".
Et selon Laurent Bayon, juge d’instance, et Marie-Christine Le Boursicot, conseillère à la Cour de cassation, cela pourrait donner une raison aux Sages de retoquer la loi, au nom de "l'incompétence négative", un principe qui oblige le Parlement à la précision. "Le législateur n’épuise pas sa compétence. Il prend ainsi un sérieux risque de voir invalider son projet de loi pour 'incompétence négative', au nom de l'inintelligibilité de la loi", écrivent les deux magistrats dans une longue tribune publiée par La Croix.
Mais nos spécialistes sont divisés sur ce point. "Le parlement, qui est le seul législateur, a effectivement le devoir d'être précis, de faire des lois complètes, pour ne pas laisser ensuite trop de pouvoir au gouvernement. C'est dans ce cadre là qu'une loi peut être invalidée pour 'incompétence négative' du parlement. Mais sur le mariage gay, le législateur a été assez précis", estime Guy Carcassone. Et de conclure : "si deux lois contradictoire existent, cela ne pose pas de problème. Une loi postérieure a plus de poids qu'une loi antérieure. La loi sur le mariage gay va remplacer toute loi précédente sur l'adoption plénière et faire tomber toute jurisprudence".
Un rejet au nom de la "dignité humaine" ?
Pour Didier Maus toutefois, il existe un ultime argument que peuvent brandir les "antis". "Avec l'adoption plénière, l'acte de naissance d'origine de l'enfant est supprimé. Or l'acte de naissance, par définition, fixe les naissances. Pour les couples homosexuels, on devra donc expliquer à un enfant : 'vous êtes nés de deux parents du même sexe'. Ce qui est absurde. Au nom de la 'dignité humaine' par exemple, on peut imaginer que le Conseil décide de rendre impossible une telle absurdité pour les enfants", décrypte le constitutionnaliste, pour qui cela constitue "le nœud du problème". Les Sages ne retoqueraient alors pas toute la loi, mais seulement le volet sur l'adoption plénière.
Là encore, la question divise les spécialistes. Selon Guy Carcassone, "le Conseil constitutionnel a pour seule mission de vérifier que la loi n'empêche pas une vie familiale normale". "Or, dans ce cas là, le Parlement va changer la norme. Je serais extrêmement surpris que la loi soit retoquée". "Le Conseil ne retoquera pas le principe de l'adoption plénière, ou alors vraiment à la marge, sur des détails peu connus", renchérit également Olivier Duhamel, juriste et politologue.
Tous les spécialistes s'accordent en tout cas pour dire qu'il restera une part de doute jusqu'à la décision finale. Se pose alors une question : pour passer outre le flou juridique, le Conseil constitutionnel prendra-t-il une décision en fonction de ses orientations politiques ? "Lorsqu'aucun argument constitutionnel clair ne se dégage, les Sages suivent plutôt l'avis du législateur, élu démocratiquement", estime pour sa part Didier Maus. "Ce qui est sûr, c'est qu'il ne prendra pas de décision politicienne, pour renforcer ou fragiliser tel ou tel parti", assure, lui, Olivier Duhamel. Et de conclure : "au tout début, les Sages étaient soumis au pouvoir politique. Mais ce temps là est révolu depuis longtemps".