Si les agriculteurs étaient seuls à voter en France, Nicolas Sarkozy n’aurait aucun souci à se faire pour sa réélection. En 2012, comme en 2007 et comme lors des élections précédentes, les agriculteurs devraient massivement voter à droite. Car c’est une tradition désormais bien ancrée en France : le monde paysan qui, avec ses quelque trois millions de membres, retraités et actifs compris pèse 8% du corps électoral, penche à droite. Et le défilé prévu des candidats au Salon de l’Agriculture ne devrait pas changer la donne.
Selon le baromètre agricole Terre-net BVA de janvier, Nicolas Sarkozy est crédité de 35% d’intentions de vote des agriculteurs au premier tour de la présidentielle. François Hollande, son rival socialiste, favori des sondages nationaux, émarge lui à un petit 11%. Des chiffres conformes à 2007, puisque selon une note du Cevipof datant de mercredi, 35% des agriculteurs avaient voté pour le président sortant au premier tour il y a cinq ans, alors que seuls 8% d’entre eux avaient apporté leur voix à Ségolène Royal. Pour rappel, les deux candidats avaient respectivement recueilli 31% et 26% de l’ensemble des suffrages exprimés.
"La persistance d’une appartenance religieuse"
Cette "tendance lourde" d’un ancrage à droite, selon l’expression de François Purseigle, maître de conférences en sociologie à l’Ensam de Toulouse, relève de plusieurs facteurs. Le premier "tient à la persistance d’une appartenance religieuse", explique l’expert, joint par Europe1.fr. Selon une étude du Cevipof datant de 2007, 22% des agriculteurs se disaient catholiques pratiquants, contre 8,6% pour l’ensemble de la population.
Cette religiosité se retrouve dans les valeurs de l’électorat agricole. Selon la même étude de 2007, 64% des agriculteurs jugeaient que l’homosexualité est une façon comme une autre de vivre sa sexualité, contre 77% de l’ensemble de la population. Ils étaient par ailleurs 77% à estimer que les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le souhaitaient, soit 18 points de plus que le reste des Français. Enfin, alors même que les campagnes restent plus sûres que les villes, 42% des paysans interrogés estimaient ne se sentir en sécurité nulle part.
Cette adhésion aux valeurs de la droite s’accompagne en outre d’un rejet de celles de gauche. "L’interventionnisme de l’Etat, les dispositifs de protection sociale et environnementale, trop contraignants à leurs yeux, qui sont portés par la gauche, les gênent, les rend méfiants", reprend François Purseigle. En outre, la conscience de classe, qui s’érode mais existe encore chez les ouvriers français, n’est pas développée chez les salariés du monde agricole. "Contrairement au reste de la population, il y a une corrélation très nette entre le vote du patron et celui du salarié agricole", note l’expert.
"La tentation des extrêmes"
L’électorat agricole semble donc figé pour longtemps dans cet ancrage à droite. Sauf que depuis 2002, la donne a changé. "Le fait nouveau, c’est la tentation des extrêmes", juge le sociologue. "Pour des raisons liées notamment au référentiel chrétien plutôt progressiste, la France agricole faisait rempart au Front national. Mais en 2002, le verrou a sauté." 22% des agriculteurs ont voté pour Jean-Marie Le Pen à l’époque. Ils n’étaient que 10% en 1988.
Et si en 2007, Nicolas Sarkozy a récupéré une partie de cet électorat, 40% des agriculteurs se disaient alors "tout à fait d’accord" ou "assez d’accord" avec les thèses du leader frontiste. C’est surtout vrai chez les jeunes agriculteurs, "qui n’ont pas été formé au mouvement de jeunesse chrétien, qui n’ont pas été socialement formés de la même façon", explique François Purseigle. C’est là une nouvelle spécificité du monde agricole, note l’expert, car le reste de la jeunesse français a plutôt tendance à rejeter l’extrême-droite.
Pour 2012, Marine Le Pen restait en janvier à un haut niveau chez les agriculteurs, puisque 21% d’entre eux des disaient prêts à voter pour elle. En mars 2001, ils étaient encore 30% à envisager de voter pour le FN, et encore 27% en octobre. Mais entretemps, François Bayrou est entré en campagne. Et sa progression chez les agriculteurs est spectaculaire. De 10% d’intentions de vote en octobre, il est passé à 19% en janvier 2012.
La popularité du candidat Modem au sein du monde agricole n’a rien d’un hasard. François Bayrou est fils de paysan, et il a lui-même géré l’exploitation familiale à la mort de son père, en 1974. Aujourd’hui, il possède encore cette exploitation, à Bordères, dans le Béarn. "Mais finalement, cela joue peu", assure François Purseigle. "Si François Bayrou a ce succès, c’est d’abord parce qu’il représente une démocratie chrétienne à laquelle certains sont très attachés. Et ensuite parce que certains sont assez distants à l’égard de Nicolas Sarkozy. Pour ceux-là, qui rejettent le Front national et qui ne veulent voter qu’à droite, François Bayrou constitue la dernière offre possible."