Pas facile d’être centriste en ce moment. Après une élection présidentielle où le centre a eu peine à se faire entendre, en témoigne le faible score réussi par François Bayrou, se profilent déjà des législatives des plus périlleuses. Alors que les différents mouvements se réclamant du centre s’honnissent, certains de leurs leaders sont en difficulté, à l’image de François Bayrou.
Tout semble donc réuni pour que le centre dans son ensemble entre après les élections législatives dans une longue traversée du désert. "Ces élections pourraient être un requiem pour le centre", image le politologue Laurent Dubois, joint par Europe1.fr. "Ça va vraiment être l’épreuve du feu pour les centristes."
"Le centre n’a pas le bon ADN"
Parmi les difficultés des centristes, la plus importante est constituée par la nature même de la 5e République, sa bipolarisation et ses scrutins majoritaires. "Au final, 80% des circonscriptions sont détenues par les deux grands partis que sont le PS et l’UMP. Le centre, lui, n’a pas le bon ADN", confirme Laurent Dubois. "Il lui faut de la proportionnelle."
Et la séquence présidentielle de 2012 n’a rien arrangé. "D’abord, le centre a perdu ce qui lui permet d’être identifiable : l’Europe", analyse le politologue. "Dans l’imaginaire populaire, le centre était associé à l’Europe. Or, celle-ci a été dans l’ensemble absente de la campagne, et quand elle a été présente, elle représentait plus un problème qu’une solution."
Le deuxième facteur qui a plombé le centre, c’est la crise. "Elle a donné aux Français la volonté de ne pas prendre de risque, de s’en remettre à des formules déjà connue", reprend Laurent Dubois. "On sort d’une présidentielle pas favorable en raison des thématiques portées, et de l’atmosphère général." La conjonction de ces deux facteurs explique en partie le score décevant de François Bayrou (9,13%). Pour les centristes, cette élection présidentielle "a été un nouveau clou sur le cercueil", conclut Laurent Dubois.
Le Nouveau Centre prend la roue de l’UMP
Face à cet écueil structurel, cette quasi-incompatibilité avec la 5e République, les choix ne sont pas nombreux. "Souvent, la seule solution, c’est comme lors du Tour de France. Il faut prendre une roue pour se faire aspirer. C’est la solution choisie par le Nouveau Centre", rappelle Laurent Dubois.
Le parti fondé par Hervé Morin a en effet passé mardi un accord législatif avec l’UMP, prévoyant une candidature commune dans deux tiers des circonscriptions et des désistements automatiques en faveur du candidat arrivé en tête dans les territoires restants. "Le Nouveau centre fait passer par-dessus tout le maintien de son groupe parlementaire", estime le politologue. "Il se jette donc dans les bras de l’UMP".
Risque d’extinction pour le MoDem
L’autre solution, c’est l’indépendance, et tout le risque qu’elle comprend. C’est évidemment le choix de François Bayrou depuis 2006, quand le leader centriste avait voté en faveur de la motion de censure présenté contre le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Dans la foulée, le président du MoDem avait réalisé un excellent score à la présidentielle (18,57%). Mais depuis, c’est une longue et inexorable descente aux enfers. "Bayrou a été un leader, il ne l’est plus", assène Laurent Dubois.
Et les législatives ne s’annoncent pas bien. Sous l’étiquette de Centre pour la France, le parti centriste a investi 400 candidats, dont 25% sont extérieurs au mouvement démocrate. François Bayrou se concentre uniquement sur la 2e circonscription des Pyrénées-Atlantiques, où sa réélection s’annonce très compliquée. Un récent sondage le donne en effet battu dans tous les cas de figure. Et aucun autre candidat, même les sortants Jean Lassalle, en Pyrénées-Atlantiques, et Abdoulatifou Aly, à Mayotte, ne semblent en mesure de l’emporter.
D’autant que le staff de François Bayrou a troué les électeurs centristes, d’abord quand le président du MoDem s’est dit prêt à vote certains textes de loi socialistes, puis quand son lieutenant Jean-Luc Benhamias s’est dit candidat à un ministère dans le gouvernement Ayrault. "Or, une grande partie reste ancrée à droite et ne veulent pas entendre parler de ça", rappelle Laurent Dubois. Au final, le risque est grand pour le MoDem de n’avoir aucun élu. "Ça peut être la fin" pour le parti centriste, prévient le politologue.
Borloo n’en profite pas
Le Nouveau centre, n’est pas menacé d’extinction, grâce à l’assurance-vie que représente l’accord avec l’UMP. "Une assurance-vie qui lui gâche l’existence", tempère Laurent Dubois. "Parce que revient éternellement, tel le boulet de Sisyphe, le fait de ne pas être indépendant." Le Parti radical de Jean-Louis Borloo prend la même direction.
D’abord parce que l’ancien parti présidentiel a accepté de ne pas présenter de candidats aux élections législatives face aux députés sortants du PR, dans une sorte de pacte de non-agression. Ensuite parce que l’indépendance, solennellement proclamée en mai 2011, a du plomb dans l’aile. "Jean-Louis Borloo a quitté l’UMP en claquant la porte, il revient par la fenêtre parce qu’il y a des problèmes de trésorerie, parce qu’il a tout simplement besoin de financement", analyse Laurent Dubois. "Il se rapproche donc du giron de l’UMP".
Au Parti radical, on répond qu'une association, l'Uricd, a été créée en novembre 2011 justement pour assurer l'autonomie financière du parti. Et on jure que l'indépendance reste la ligne du mouvement.
Entre un MoDem exsangue d’une part, et un Nouveau centre et un Parti radical ralliés d’autre part, le centre devrait donc retrouver la place qu’il a occupé la majeure partie du temps sous la 5e République : celle d’un allié docile du grand parti de la droite.