Les enfants ont leur cahier de vacances, les ministres aussi. Avant de les laisser filer aux quatre coins de la France pour se reposer, François Hollande a confié une mission à ses troupes : imaginer, dans leur domaine de compétence, ce que sera la France en 2025. Vaste programme. Le président et le Premier ministre ramasseront les copies le lundi 19 août lors du séminaire de rentrée du gouvernement. Le Point s’est d'ores et déjà procuré les travaux de cinq ministres. Et l’optimisme est plus que jamais de mise.
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Moscovici promet "le plein emploi"
Les nostalgiques des Trente Glorieuses peuvent se rassurer : la France a encore de beaux jours devant elle. Si, pour l’heure, le plein emploi est "inimaginable", cela reste "un objectif réaliste" pour 2025. Le ministre de l’Economie justifie cet élan d’optimisme par le fait que nombre de pays ayant connu le chômage de masse ont su se relever : "Pourquoi pas la France, si nous savons faire des choix dynamiques pour notre économie, donnant la priorité à l'emploi des jeunes et des séniors ?"
Pour faire tourner la roue dans le bon sens, pas question de marcher dans les pas du modèle allemand, loué aujourd’hui. Pour Pierre Moscovici, "ce serait une erreur stratégique" car s’il est "sans doute idéal à court terme (...), il ne correspondra plus à l'état de l'économie mondiale dans dix ans". La demande de biens d’équipement - point fort du commerce extérieur allemand - devrait en effet, selon lui, baisser du fait de la "moyennisation" - définit par le sociologue français Henri Mendras comme la constitution d'une vaste classe moyenne rapprochant les modes et les niveaux de vie - des sociétés émergentes. Or, la France a "de formidables atouts pour répondre à la nouvelle demande mondiale, qu’il s’agisse du secteur pharmaceutique, des services financiers, de la grande distribution ou des secteurs de la gestion de l’eau et des transports." Ou quand Pierre Moscovici fait de Berlin un "has been" avant l’heure.
Valls invente la police 3.0
Avec le sérieux qui fait son succès dans les enquêtes d’opinion, le ministre de l’Intérieur loue, comme il en a pris l’habitude, "la République", "la laïcité", "le projet républicain" ou encore l’Etat "protecteur, organisateur, régulateur". Un préambule à tonalité présidentielle dans la droite ligne de son été hyperactif.
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Mais parce que l’exercice n’était pas celui-là, Manuel Valls a aussi laissé aller son imagination. Et dans son esprit fécond, le premier flic de France envisage "des forces de l’ordre 3.0, proches de la population et à la pointe des avancées technologiques" afin de répondre efficacement aux nouvelles menaces : cybercriminalité ou encore fraudes à l’identité. Quant la modernisation de l'Etat, le ministre de l'Intérieur estime que d'ici à 2025, "le réseau des préfectures et des sous-préfectures doit évoluer". Et d’imaginer le remplacement de certaines d'entre elles par "la création de maisons de l'Etat et le regroupement des services avec les collectivités territoriales".
Taubira et la fin de la surpopulation carcérale
C’est tout l’enjeu de "sa" réforme pénale, qui sera présentée à la rentrée : trouver des alternatives à l’enfermement. C’est aussi l’un de ses points de discorde avec Manuel Valls. Mais quand on lui demande d’imaginer la justice française de 2025, la garde des Sceaux n’en démord pas : non, les prions ne seront plus surpeuplées et ce n’est pas en en construisant d’autres que la situation s’améliorera mais par "le développement des peines alternatives à l'incarcération".
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Une cohérence idéologique qui la pousse même à inventer des peines "qui ont du sens, réparatrices pour les victimes, sanctionnant à sa juste mesure l'auteur de l'infraction et permettant l'insertion ou la réinsertion de ce dernier". Et la ministre de la Justice de citer notamment "la peine de probation, intégrée par les juridictions de jugement [qui] s’est substituée à tous les autres peines alternatives à l’incarcération et restrictives de liberté, dans le cadre du code d’exécution des peines adopté il y a maintenant près de 10 ans", soit en 2014. On aimerait être présent quand Manuel Valls lira sa contribution…
Montebourg, sauveur de la nation
A la lecture de son texte, force est de constater que l’humilité n’est pas la qualité première du ministre du Redressement productif. Si la France, en crise en 2013, s’en est sortie par le haut pour finalement devenir, en 2025, un leader mondial, c’est parce qu’elle a choisi "il y a plus d'une décennie, de concentrer ses efforts sur les segments de croissance future", son idée. Mieux, les ingénieurs et industriels français devraient mettre au point un "véhicule 2 l/100 km", qui sera l'un des "plus commercialisés en Europe" à partir de 2017. Mieux encore, un programme "Usine du futur" a "permis d'amener nos industries aux meilleurs standards et plus encore de définir un modèle français de production qui après Ford et Toyota fait figure de modèle mondial en concurrence avec les modèles développés en Allemagne (Siemens) et en Chine (Foxconn)". N’en jetez plus, l’industrie française, brinquebalante en 2013, est devenue un exemple à suivre en 2025.
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Duflot rêve d’un "nouvel âge du logement"
Après quelques lignes catastrophistes sur les changements climatiques et les dégâts au sein de la biodiversité, la ministre du Logement s’est lancée dans une entreprise d’autosatisfaction, son action en 2014 ayant permis d’écrire une nouvelle page dans l’histoire du logement, rien que ça. "Dans le cadre des lois adoptées entre 2012 et 2014, les logements vacants seront devenus très rares" et "6 millions de logements auront été édifiés", assure-t-elle. Sa conclusion laissera rêveur ceux qui passent des mois à chercher un toit convenable et abordable : "chacun dispose d'un toit et d'un environnement de qualité" (oui, vous avez bien lu, "chacun"). D'ailleurs, poursuit-elle, "l'accès à ces logements pour chacun ne sera plus un facteur de stress et d'incertitude, mais une étape plaisante de la vie". Vivement 2025.
Et d'autres raillent une "connerie"
Il n'aura évidemment ni fallu attendre la rentrée, ni 2025, pour que l'opposition se mette à tirer à boulets rouges. "Le gouvernement ferait mieux de s'occuper des hausses d'impôt", a ainsi taclé le député UMP Laurent Wauquiez dimanche, parlant d'un projet "surréaliste". Mais le malaise est également venu directement de la majorité. En off, un ministre a évoqué auprès d'Europe 1 une "connerie". "Ça ne sert à rien de peindre l’avenir en rose alors que beaucoup de Français sont en difficulté", a également renchéri un élu socialiste. Et la président de l'Assemblée, Claude Bartolone, de conclure dimanche : "croyez-vous qu’un seul de nos compatriotes consente à appartenir à une génération sacrifiée, à qui l’on dirait qu’une fois sa vie terminée le pays connaîtra un avenir meilleur" ? La question sociale c’est aujourd’hui, pas demain."