En 2007, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal avaient placé les banlieues difficiles au cœur du débat. Cinq ans plus tard, il a fallu une petite phrase lancé par Nicolas Sarkozy lors de son méga-meeting de Villepinte pour que le sujet soit directement évoqué. "Je n'ai aucune leçon à recevoir d'une gauche qui a laissé les banlieues dans un état lamentable à la fin des années 90", avait lancé le président-candidat.
Mercredi à Marseille, François Hollande a répliqué en promettant de "ramener la République" dans ces territoires. Le candidat socialiste entend bien garder la main sur cet électorat, traditionnellement attiré par la gauche. Mais il doit se prémunir d’une abstention là encore coutumière dans les "quartiers". Car voilà bien les deux grandes tendances du vote de ces Zones urbaines sensibles (ZUS), ces grands ensembles situés dans des municipalités, mais qui portent une spécificité.
Une abstention très élevée, sauf en 2007
Selon les calculs de Karim Amellal, maitre de conférences à Sciences-Po Paris, le poids électoral des ZUS représente 6% du corps électoral français, soit 2,5 millions d’électeurs. Mais ce chiffre est à relativiser. "Tout dépend de la participation", explique à Europe1.fr, Henri Rey, directeur de recherche au Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences Po. "Quand elle est très forte comme lors de la présidentielle de 2007, les quartiers pèsent à peu près leur poids démographique dans l’électorat. Mais il n’y pas de précédent, et depuis cette date, il y a un très fort taux d’abstention", poursuit l’expert.
A titre d’exemple, au premier tour des municipales de 2001, l’abstention avait été de 48,61% dans les quartiers difficiles, contre 32,6% pour l’ensemble de la population, selon les chiffres de la Délégation Interministérielle à la Ville. Et aux municipales de 2008, toujours au premier tour, 49,19% des électeurs des ZUS ne s’étaient pas déplacés aux urnes, contre 35,5% au niveau national.
Seule la présidentielle de 2007 a fait exception. "On était tout près des émeutes urbaines de 2005, et l’accent avait été mis sur les questions de sécurité dans la campagne de Nicolas Sarkozy", rappelle Henri Rey pour justifier cette singularité. "Et il y avait une démarche très manifeste de Ségolène Royal vers ces quartiers, dont elle avait fiat un véritable objectif de campagne. Du coup, il y a eu une radicalisation de l’opposition droite-gauche, qui a profité à la candidate socialiste", note le spécialiste.
Et 2007 est bien parti pour rester un contre-exemple. "Il n’y a aujourd’hui pas de signe particulier qui monterait qu’il y ait une mobilisation aussi exceptionnelle", estime l’expert du Cevipof. "Le contexte n’est pas le même. Le thème arrive très tard dans la campagne. Et cette campagne est souvent abordée par des grandes thématiques, tel que l'emploi, la sécurité, qui peuvent concerner les ZUS, mais ce n'est pas une campagne de territoires, contrairement à 2007."
La gauche bien implantée
L’abstention pourrait donc retrouver des hauteurs le 22 avril. Reste à savoir si l’autre tendance lourde de l’électorat des ZUS sera aussi respectée. Cette tendance, c’est un vote largement favorable à la gauche. A l’élection présidentielle de 2002, au premier tour, 36% des habitants des ZUS avaient voté Lionel Jospin, contre 16,2% de l’ensemble des électeurs. En 2007, 41% des votants des quartiers difficiles ont voté Ségolène Royal au premier tour, contre 26% au plan national.
Cette adhésion à la gauche "est notamment vraie pour la partie de l’électorat qui est issue de l’immigration", analyse Henri Rey, qui fait le parallèle avec "le vote démocrate aux Etats-Unis." Le spécialiste avance d’autres raisons. "Beaucoup de ces quartiers ont été implantés dans ce qu’on appelait la banlieue rouge, dans des municipalités ouvrières, qui étaient largement de gauche. Même si cela a un peu changé depuis, la droite part avec un handicap, dans ces quartiers. En outre, le tissu associatif, très implanté dans ces territoires, a longtemps été largement dominé par une sensibilité de gauche", énumère l’expert.
La stratégie payante de Sarkozy
Toutefois, cette donne pourrait être en train de changer. En 2007, Nicolas Sarkozy était parvenu à attirer 24,1% des voix au premier tour, contre 19,3 à Jacques Chirac en 2002. La hausse est encore plus spectaculaire pour le second tour, puisque 49% des électeurs avaient voté pour l’actuel président, contre 38% en 2002 pour son prédécesseur. Preuve du succès à l’époque de la stratégie du candidat UMP, "très volontariste sur le terrain de la discrimination positive et de la défense des minorités", rappelle Karim Amellal sur son blog.
Du coup, c’est aussi le Front national qui a vu son électorat baisser dans ces quartiers. "Historiquement, il était assez élevé, parce que la droite traditionnelle était faible dans les années 1980-1990, ce qui entraînait une radicalisation d’une partie de la population", rappelle Henri Rey. "Mais depuis quelques années, il y a une transformation démographique, ceux qui étaient enclins à voter pour l’extrême droite sont partis. Et la droite traditionnelle a repris des couleurs". Résultat : Au premier tour des élections municipales de 2007, le Front national a émargé à un petit 6,47%.
Cibler les priorités
Reste à savoir si Nicolas Sarkozy parviendra à rééditer la performance de 2007. Le président sortant dispose de quelques atouts. "Il ya eu une mise en scène pour mettre en avant dans le gouvernement des personnalités dites issues de la diversité", cite par exemple Henri Rey. En revanche, la rénovation urbaine louée par le président-candidat laisse l’expert plus dubitatif. "Le bilan de l’action publique est très contrasté dans ces quartiers", estime-t-il. "Les maux dont souffrent les habitants, le surchômage, la désertion des services publics, n’ont pas été traités, ou mal traités. Et en même temps, ce qui a été fait sur le bâti, pour rendre l’environnement plus agréable, compte. Mais cela n’apparaît pas comme l’aspect déterminant pour les gens."
Pour gagner les suffrages des quartiers, il faut donc bien cibler ses priorités. "Les habitants attendent d’abord qu’on s’attaque au chômage, qui est plus du double pour les jeunes dans ces quartiers", assurent Henri Rey. "Ils citent aussi les jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme et la raréfaction des servies publics. S’il ya des engagements forts qui peuvent être faits dans ce sens, cela aura certainement être entendu", conseille le chercheur, qui temporise toutefois immédiatement : "Mais ce sera sur la base d’un très grand scepticisme face aux promesses non tenus depuis des années."