L’appel du pied aux électeurs du Front national est cette fois des plus limpides. Gérard Longuet, ministre de la Défense, a accordé une interview à Minute, hebdomadaire notoirement d’extrême droite. En soit, le fait est déjà un signal envers l’électorat de Marine Le Pen. Mais l’ex-sénateur de la Meuse va plus loin sur le fond. Pour la première fois, un leader de l’UMP, membre du gouvernement, parle de la présidente du FN comme d’"un interlocuteur".
"Désormais possible de parler de sujets difficiles"
C’est en fait en comparant les Le Pen père et fille que Gérard Longuet parvient à cette conclusion. "C'est un constat. Il y a une différence notable entre Marine Le Pen et son père", affirme le ministre. "Tout le monde sait que je connais Jean-Marie Le Pen et il est certain que ce dernier n'a jamais pu résister au plaisir des provocations. Sa fille ne souffre pas de ce handicap et nous n'aurons pas, avec elle, de ‘Durafour crématoire’ et autre ‘détail’", juge celui qui fut dans sa jeunesse, engagée à l’extrême droite, via le mouvement Occident.
Et pour Gérard Longuet, c’est "tant mieux, car il sera désormais possible de parler de sujets difficiles avec un interlocuteur qui n'est pas bienveillant mais qui, au moins, n'est pas disqualifié. Il n'y a pas, à ce jour, de déclarations funestes de Marine Le Pen ou alors j'attends qu'on me les montre", ajoute l’ex-patron des sénateurs UMP.
"Faire bloc" contre le candidat PS
Dans cet entretien, le ministre de la Défense rend aussi hommage au score "très respectable" de Marine Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle (17,9%) et en appelle aux "patriotes", qui doivent "faire bloc" contre le candidat PS François Hollande et la "politique qu'il prône en matière d'immigration" et voter pour le président-candidat de l'UMP, Nicolas Sarkozy.
Interrogé sur ce qu'il ferait en cas de duel gauche/FN au second tour des législatives, il affirme : "vous imaginez bien que je ne peux pas voter pour la gauche socialo-communiste (…) que je combats depuis mes plus jeunes années", assène celui qui fut souvent impliqué dans sa jeunesse dans des affrontements violents contre l'extrême gauche. "Mais je ne peux pas non plus voter pour le Front national, qui conduit certaines aspirations légitimes de ses électeurs dans l'impasse. Fondamentalement, l'extrême droite n'a pas le goût de gouverner", tempère-t-il ensuite.
Flattant encore l’électorat d’extrême droite, Gérard Longuet se dit ensuite "hostile au fait que des personnes issues de communautés étrangères aillent chercher des conjoints à l'extérieur de la France, notamment dans leur pays d'origine, comme s'ils refusaient toute possibilité d'enracinement". Le ministre fait également la distinction entre les immigrés "les plus courageux", qui viennent en France pour "des perspectives économiques", et "les moins courageux", attirés, selon lui, par "des avantages sociaux".
Dati "choquée"
En mars 2010, alors président du groupe UMP au Sénat, Gérard Longuet avait déjà déclenché une polémique en jugeant préférable de nommer à la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité) quelqu'un du "corps français traditionnel" plutôt que le socialiste Malek Boutih, dont le nom circulait alors avec insistance pour remplacer Louis Schweitzer. Plusieurs ministres et responsables de l'UMP avaient condamné ses propos.
Cette fois encore, les propos de Gérard Longuet font réagir. Rachida Dati est ainsi montée au créneau. "Je suis choquée, je n'adhère absolument pas au fait qu'on puisse dire que Mme Le Pen est un interlocuteur. De même que je suis pour l'intégration des immigrés venus légalement en France et non pas pour le tri entre ‘bons’ et ‘mauvais’ immigrés", a-t-elle déclaré.
Dans un communiqué, le socialiste Bruno Le Roux fustige lui une "dérive pathétique" symbolisée par l’interview grossière accordée par Gérard Longuet à Minute. "Le plus terrible dans cette affaire est que pareille dérive ne surprend presque plus. La droite républicaine, si elle veut conserver son honneur et demeurer fidèle aux valeurs qui, du Général de Gaulle à Jacques Chirac, l’ont placée au cœur de la démocratie française, doit cesser ce numéro de racolage désespéré", assène le porte-parole de François Hollande.
Le Pen "espère que ça va continuer après les élections"
Invitée d'Europe 1 mardi soir, Marine Le Pen s'est elle-même indignée d'une telle tentative de rapprochement. "Je ne sais pas si on peut parler avec des gens d'extrême droite. Quand on a commencé sa carrière à Occident (un mouvement d'extrême-droite dissous en 1968), on peut rarement dire qu'on est d'extrême gauche", a ironisé la présidente du Front national.
"Mais je me rappelle également qu'il y a quelques semaines, Monsieur Longuet a tenu des propos absolument épouvantables à mon encontre, et je remarque que par le miracle des élections tous ces gens finissent par devenir charmants. J'espère que ça va continuer après les élections…", a-t-elle conclu.