Luc Chatel est un ministre très actif. En charge du portefeuille très sensible, et ô combien exposé, de l’Education nationale, le maire de Chaumont, en Haute-Marne, a essaimé nombre d’idées depuis sa prise de fonction en juin 2009. Il a multiplié les sorties pour annoncer des réformes en profondeur ou des mesures pour améliorer le système scolaire français. Dernière en date : une prime au mérite pour attirer les professeurs dans les établissements difficiles. Parmi ces nombreuses annonces, certains ont été suivies des faits, d’autres sont restées lettre morte. Europe 1.fr fait le point.
Evaluation des enseignants : une réforme contestée
Ce qu’il a dit. La prime au mérite proposée mercredi par Luc Chatel est en fait l’aboutissement d’une réflexion plus large sur l’évaluation des enseignants. Dès juin 2011, le ministre de l’Education avait plaidé pour une refonte du système de notation des professeurs, histoire d’introduire la notion de "promotion au mérite" dans la carrière des personnels de l’éducation. En décembre 2011, le ministre a précisé son projet : fin de la double note, administrative et pédagogique, afin de ne conserver que l’évaluation du chef d’établissement ; mise en place d’une note tous les trois ans, et à terme tous les ans ; mise en place de critères d’évaluation "objectifs", encore à définir.
Ce qu’il a fait. En théorie, Luc Chatel veut que cette réforme de l’évaluation entre en vigueur dès la rentrée 2012. Mais le ministre doit faire face à la grogne des enseignants, fermement opposés, notamment, à la notation unique. Une première journée d’action a eu lieu à la mi-décembre 2011, et une autre est prévue le 31 janvier prochain. A trois mois de l’élection présidentielle, Luc Chatel prendra-t-il le risque de s’aliéner une grande partie des enseignants ?
Pour Luc Chatel, sollicité par Europe 1.fr, l’instauration d’un nouveau mode d’évaluation reste nécessaire."Le métier d’enseignant évolue, de nouvelles missions apparaissent et se développent pour répondre aux besoins de la demande éducative. C’est pourquoi les critères d’appréciation de leur valeur professionnelle doivent également évoluer", continue de penser le ministre, qui annonce la signature d’un "accord de méthode" avec le Sgen-CFDT. Mais le calendrier n’est pas encore défini, et le projet est forcément conditionné à une victoire de la droite lors des élections de 2012.
Quant à la prime au mérite pour les professeurs exerçant dans les établissements difficiles, c’est la même histoire. Une victoire de la gauche l’enterrerait. D’autant que les syndicats ont déjà fait part de leur opposition au projet.
Rythmes scolaires : encore des progrès à faire
Ce qu’il a dit. Luc Chatel s’est beaucoup exprimé sur la question, sans trancher. En juin 2010, le ministre de l’Education a ainsi mis en place un comité de pilotage sur les rythmes scolaires. Le pré-rapport, remis à la fin janvier 2011, puis le rapport, rendu en juillet, prônaient principalement, d’une part la fin de la semaine de quatre jours dans le primaire, mise en place par Xavier Darcos en 2008, et d’autre part l’allègement de la journée des collégiens et lycéens.
Ce qu’il a fait. Pour remplir ces deux objectifs, l'idée qui a circulé concernait l’ajout de deux semaines de cours dans l’année. Et donc pour le raccourcissement des grandes vacances d’été. L’idée a été avancée au cours du mois de juillet 2011, et en août, le ministre a indiqué qu’il trancherait à l’automne 2011. Mais rien n’a encore été décidé. Luc Chatel a en fait annoncé en novembre 2011 une vaste consultation des acteurs de l’école sur le problème des rythmes scolaires. "Après analyse de ces contributions, nous déciderons rapidement si nous pouvons définir des orientations avant l’élection présidentielle ou si celles-ci relèvent du programme présidentiel, qui sera soumis au vote des français", assure le ministre.
Concernant les rythmes scolaires, la seule réalisation concrète a été l’expérimentation, lancée à la rentrée 2010 sur le modèle allemand, de la formule "cours le matin, sport l’après-midi". Selon une étude de la Direction des statistiques du ministère de l'Education nationale remise fin 2011, le bilan en la matière est contrasté. La moitié des 15.000 élèves concernés n’ont pas vu leurs notes grimper, ou leur absentéisme diminuer. Luc Chatel y oppose lui une autre "enquête officielle", menée auprès des chefs d’établissements, qui affirment à 73% que "la motivation des élèves" s’est améliorée et à 60% que "leur assiduité a gagné en constance". "L’expérimentation prend des formes extrêmement variées, et dont on ne peut tirer aucune conclusion généralisable", tempère pour Europe 1.fr Claire Krepper, secrétaire nationale du SE-Unsa.
Reste que dans les faits, près de deux ans après le lancement de la réflexion, rien n’a donc été tranché. "A la décharge du ministre, cela fait des décennies qu’il se dit beaucoup de choses, mais que rien ne change vraiment", affirme Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU. "A chaque fois qu’on met le sujet sur la table, on commence par un débat général et on finit par de mesures, comme rogner sur les vacances d’été, qui referment le débat", regrette la syndicaliste.
Sécuriser les établissements : résultat satisfaisant
Ce qu’il a dit. Confronté à plusieurs faits divers dramatiques, comme la mort d’un lycéen poignardé au Kremlin-Bicêtre, dans le Val-de-Marne, en janvier 2010, Luc Chatel a lancé les états généraux de la sécurité à l’école en avril de la même année. Puis, dans le même esprit, les Assises nationales sur le harcèlement à l’école ont eu lieu les 2 et 3 mai 2011. Cela a abouti à la mise en place d’instruments de diagnostic plus précis sur les besoins de chaque établissement, l’installation de policiers référents dans les établissements les plus sensibles, une meilleure formation des enseignants débutants.
Ce qu’il a fait. A la fin de l’année 2011, 53 établissements bénéficiaient d’un policier référent, et au cours de l’année scolaire 2010-2011, les équipes mobiles de sécurité ont réalisé 29 223 interventions dans les établissements, selon les chiffres du ministère de l’Education, qui affirme aussi que 239 responsables de l'éducation nationale ont été formés à la sécurisation et à l’exercice de l’autorité en situation de crise. "Des équipes mobiles de sécurité sont déployées dans toutes les académies, et nous avons systématisé les procédures disciplinaires en cas de violence verbale ou physique à l’égard d’un personnel", argumente aussi Luc Chatel.
"Il faut reconnaître au ministre d’avoir mis ces dossiers en avant et d’avoir sensibilisé les acteurs de l’école à la prévention de la violence, du harcèlement. On ne peut que s’en féliciter", glisse Claire Krepper, du SE-Unsa. "Mais c’est dommage que cela ne s’accompagne pas d’une politique de recrutement du personnel à la hauteur. Quant à la formation des enseignants débutants, elle se fait par un DVD, ce qui fait un peu rigoler, surtout quand on a supprimé tout le reste de la formation ou quasiment", déplore-t-elle.
Hausse des salaires des enseignants : peut mieux faire
Ce qu’il a dit. Dans le cadre de la masterisation, et donc du passage à Bac+5 du diplôme nécessaire pour enseigner, Luc Chatel a annoncé en mars 2010 une revalorisation des émoluments des instituteurs, professeurs certifiés et enseignants agrégés qui débutent leur carrière. Il s’agissait là d’une promesse du candidat Sarkozy en 2007. Puis en novembre 2011, le ministre de l’Education a solennellement annoncé que les professeurs débutants toucheraient 2.000 euros brut dès le début de leur carrière. Le ministre a ainsi calculé une hausse de 18% du salaire en cinq ans de présidence Sarkozy.
Ce qu’il a fait. A la rentrée 2010, le salaire des professeurs débutants a bel et bien été revalorisé de 157 euros net par mois pour les professeurs des écoles et les professeurs certifiés et de 259 euros les professeurs agrégés. Et la barre des 2.000 euros brut pour un débutant sera franchie le 1er février 2012. "Tant mieux pour nos jeunes collègues, c’est déjà ça", réagit Bernadette Groison, de la FSU. "Mais Nicolas Sarkozy avait promis en 2007 la revalorisation du salaire de tous les enseignants. Or, il n’y a eu aucune revalorisation et pire, le salaire des personnels de l’Education, comme celui de tous les fonctionnaires, est gelé depuis deux ans", peste-t-elle. "C’est un différend très important entre nous et le ministre."
"Notre politique de revalorisation a été en fait beaucoup plus large. Nous avons mis en place un très large éventail d'indemnités pour récompenser l'engagement et l'initiative des enseignants, quels que soient leur ancienneté et leur statut", répond Luc Chatel.
Programmes et aides aux élèves : de l’envie, mais trop éparpillée
Ce qu’il a dit. En la matière, Luc Chatel n’a pas été avare de propositions. Sur l’apprentissage des langues, le ministre s’est d’abord prononcé, en janvier 2011, en faveur de l’introduction de cours d’anglais dès la maternelle. Puis en avril de la même année, il a lancé un comité stratégique des langues, chargé de réinventer l’apprentissage de la matière à l’école. Luc Chatel a également évoqué un Plan sciences pour un meilleur apprentissage des mathématiques à la primaire, s’est prononcé, en novembre 2010, pour l’introduction de cours de philosophie dès la seconde, ou encore a plaidé, en janvier 2011, pour une meilleure introduction du numérique dans l’enseignement. Enfin à la fin du mois d’août 2011, Luc Chatel a annoncé la réintroduction des cours de morale à l’école primaire.
Concernant le soutien scolaire, Luc Chatel a introduit dans le cadre de la réforme du lycée deux heures d'accompagnement personnalisé obligatoire, avec l’objectif de limiter le nombre de redoublements.
Ce qu’il a fait. Pour l’apprentissage de l’anglais dès la maternelle, rien n’a été formellement décidé, alors que pour les élèves plus âgés, rien n’a changé, sinon l’épreuve du Bac. "Il y aura l’introduction d’épreuves orales à l’examen, ce qui est une très bonne chose", se félicite Claire Krepper. "Ici ou là, des choses se passent", reconnaît de son côté Bernadette Groison. Les cours de morale ont été mis en place à la rentrée 2011. "Dans la réalité, les collègues travaillent sur le vivre-ensemble, sur le respect des autres, mais sous d’autres formes que la leçon de morale telle qu’elle a été mise en avant, qui tient plus lieu de communication politique que de réalité pédagogique", assure Claire Krepper.
Quant aux deux heures de soutien personnalisé, "le dispositif est difficile à mettre en place dans un contexte de réduction des moyens", indique la secrétaire nationale du SE-Unsa. "Mais il y a aussi des choses très bien, du très bon travail qui a pu être effectué sur ce créneau."
Sécuriser le bac : examen reporté
Ce qu’il a dit. L’affaire de la fraude au Bac S 2011 avait fait grand bruit, et avait constitué une sacrée épine dans le pied de Luc Chatel pendant plusieurs semaines. Alors pour éviter qu’une telle mésaventure se reproduise, le ministre a dévoilé en août 2011 son plan pour sécuriser l’examen le plus célèbre de France. Première étape : un diagnostic local de sécurité pour remédier aux failles et la mise en place d’une veille sur Internet pour "détecter les fuites et les rumeurs". Deuxième étape : des sanctions mieux et plus rapidement appliquées. Et un dépôt de plainte systématique en cas de fuite avérée.
Ce qu’il a fait. Luc Chatel a assuré que ces nouvelles dispositions seraient effectives dès le Bac 2012. Rendez-vous donc dans cinq mois.
Bilan : mention Assez bien
Pour Claire Krepper, avec Luc Chatel, "on est dans une politique de communication. Ça se comprend, car quand on a aussi peu de moyens, et qu’il faut en plus faire pus d’économies, on peut difficilement faire autrement", regrette la syndicaliste. "Le ministre parle de la révolution de la personnalisation, mais dans les faits, on a de moins en moins les moyens de le faire. Il y a beaucoup de rideaux de fumée, de communication, qui cachent l’essentiel."
Même son de cloche chez Bernadette Groison. "Luc Chatel a fonctionné par coups médiatiques", assène la secrétaire générale de la FSU. "Il ne pense pas le système éducatif de manière globale et cohérente pour l’élève. Il ne réfléchit pas à ce que doit être le parcours scolaire d’un jeune, de 3 à 17 ans", déplore-t-elle.
Luc Chatel réfute cette vision de son bilan. "Je crois avoir fait plus que lancer des pistes de réflexion en étant tout autant dans l'action, c'est-à-dire en mettant en œuvre concrètement, pragmatiquement et par touches successives des mesures nouvelles qui visent à profondément moderniser notre école", argue Luc Chatel. Qui conclut par une pique à l’adversaire socialiste, François Hollande : "En 2012, les Français auront le choix entre la vision d’un gouvernement qui a une vision claire de l’Ecole, preuves à l’appui, et la vision flou de ceux qui multiplient les promesses confuses et les propositions rétrogrades."