L’appel. Cette fois, ce sont eux les "candidats à l’embauche". De nombreux patrons se lancent en politique à l'occasion des municipales, dans l’espoir d’être choisi comme maire ou maire adjoint. "Les chefs d’entreprises ne comprennent pas que d’autres décident à leur place qui ils doivent embaucher, où ils doivent investir et pourquoi l’argent qu’ils gagnent si durement doit leur être confisqué", avait lancé dans un communiqué, le 21 novembre, la CGPME. D’habitude neutre politiquement, le syndicat des petites et moyennes entreprises avait alors lancé un appel officiel aux chefs d’entreprises à se lancer dans la course électorale.
Peu importe la bannière, tant qu’il y a un patron sur la liste. "On ne veut pas de liste CGPME, ni appeler à voter pour une liste plutôt qu’une autre", assure ainsi Jean-Eudes Dumesnil du Buisson, secrétaire général, contacté par Europe1.fr.
"Plus de 200 candidats"… surtout à droite. Bilan, trois semaines après le début de la campagne de "recrutement" ? "Ça a marché. On a eu beaucoup de retours de patrons nous disant que c’était une excellente idée. Mais on a surtout eu beaucoup de retours de patrons inscrits sur des listes, et même des têtes de listes", se réjouit Jean-Eudes Dumesnil du Buisson, parlant de plus de 200 candidats. "Et ça ne veut pas dire qu’il n’y en aura pas des milliers", espère-t-il. Il prévient même : "on ne veut pas s’arrêter là. On veut réitérer notre appel pour les législatives. On a déjà eu des expériences à succès, comme Lionel Tardy (gérant d’une PME en informatique de 18 salariés et député UMP de Haute-Savoie depuis 2007)".
La CGPME se targue d’avoir reçu des réponses partout en France et a des exemples plein la besace (sur des listes de droite). Le président de la section de Limoges, Pierre Coinaud, prend ainsi la tête d’une liste centriste pour conquérir cette ville. Pierre Pécoul, patron d’une PME de fourniture de bureau, sera également tête d’une liste centriste et divers droite à Riom (17.000 habitants), en Auvergne. À Sète, Olivier Odi, entrepreneur dans les nouvelles technologies, sera sur la liste du centriste Yves Marchand. François Sibille, chef d’entreprise dans l’assurance, sera lui sur la liste divers droite à Annonay (17.000 habitants) en Ardèche.
"Mon beau frère ouvrier peut être maire". Mais un entrepreneur a-t-il le CV qu'il faut pour entrer en politique ? Pour les intéressés, ça ne fait évidemment pas de doute. Même si l’on reconnait que les patrons ne doivent pas figurer seuls sur les listes. "Un chef d’entreprise est obligé de gérer du personnel, des charges, des finances. Or, piloter une ville c’est comme piloter une entreprise", argumente dans un premier temps Frederic Brasiles, patron d’un studio de photo, inscrit sur la liste du candidat UMP, Jean-Luc Moudenc, à Toulouse, interrogé par Europe1.fr. "Cela ne veut pas dire pour autant que seul un patron est capable de gérer une ville. Une liste municipale, ça doit être une équipe. Le maire doit être un leader, et mon beau-frère qui est ouvrier en est tout à fait capable. Mais la liste doit tout de même compter des chefs d’entreprise, qui connaissent les secrets du management", poursuit ce membre de l’Union pour l’artisanat (UPA).
Un rejet des gros partis.... Difficile, toutefois, de se faire une place lorsqu’un entrepreneur débarque dans le paysage politique local. Antoine Da Cruz, par exemple, est patron d’une petite cordonnerie et candidat depuis deux mois à la mairie d’Onet-le-Château, ville de 11.000 habitants dans l’Aveyron. Mais malgré des idées proches, il n’a pas reçu le soutien de l’UMP, qu’il souhaitait pour faire face à la liste du maire socialiste sortant. Aujourd’hui, il tente d’obtenir celui de l’UDI. Mais il s’estime rejeté. "Les médias ne parlent pas de moi. Je ne dois pas faire assez sérieux pour eux. Je ne suis qu’un petit cordonnier. Je fais des fautes d’orthographe, j’ai tout juste un CAP", regrette-t-il.
… Et la tentation des extrêmes ? "J’ai été approché par le FN mais il est hors de question d’aller de ce côté-là, tient à préciser Antoine Da Cruz. Je suis un démocrate. Attirer des électeurs en faisant du sensationnel ce n’est pas mon truc. Je préfère convaincre, avec des arguments". Pourtant, la tentation d’un rapprochement entre les petits patrons et le FN existe, dans la tête de certains. Et le mouvement des Bonnets rouges, où l’on a vu des agriculteurs défiler auprès de militants FN, ravive les craintes. "Le gros risque, c'est qu'il y a des gens, au sein de la CGPME, qui ont envie d'aller en découdre au côté des extrêmes", estime ainsi un responsable patronal cité par Les Echos. "Le risque existe. Mais nous avons des valeurs à la CGPME. Si l’on peut avoir des candidats sur ce genre de listes, pour extraire leurs idées extrémistes, alors tant mieux", se défend Jean-Eudes Dumesnil du Buisson.
Créer son propre parti, une solution ? Pour éviter de se retrouver sans soutien d’un parti et sans verser dans les extrêmes, la solution est peut-être d’en créer un. Contacté par Europe1.fr, Denis Payre, créateur il y a plus de 20 ans du géant des logiciels Business Objects (à 27 ans, "avec 10.000 euros en poche") et de la société de e-commerce Kiala, vient de quitter le monde de l’entreprise pour celui de la politique. En octobre, c'est un mouvement politique qu'il a cette fois fondé. "Nous citoyens", de son petit nom, n'est "ni de droite, ni de gauche, ni du centre" et milite pour une société inspirée du modèle suédois, avec un "État fort"… mais concentré sur ses missions régaliennes.
"Nous citoyens", qui revendique 8.500 sympathisants, "issus de tous types de professions, chefs d'entreprise mais aussi artisans, professions libérales, agriculteurs, travailleurs sociaux, fonctionnaires ou même mères au foyer", entend présenter une trentaine de listes aux municipales, notamment à Aix-en-Provence, Aras, Grigny ou encore Colombes. Et même s’il ne gagne pas tout de suite face aux gros partis, l’idée est de peser dans le débat. "Nous allons demander plus de transparence des élus, sur les décisions de l’équipe municipale, les notes de frais des élus ou encore les relations familiales entre les employés de mairie, pour un meilleur contrôle des élus par leurs citoyens", plaide son fondateur. Et de conclure : "nous voulons redonner la parole à la société civile".
>> Le poids actuel des patrons dans les mairies. Selon la direction générale des collectivités locales, les "artisans, commerçants et chefs d’entreprise" représentent déjà 8% des maires. Leur part dans la population n’est, elle, que de 3,3. La catégorie active la moins représentée chez les édiles est celle des ouvriers (2%).