La question a surpris les candidats jeudi soir sur France 2. Et des fractures sont apparues.
Alors que les candidats à la primaire socialiste ont soigneusement évité l’affrontement, jeudi soir lors de leur premier débat télévisé, il est un sujet qui a tout de même était prêt de faire partir la cordialité ambiante en fumée. Ce sujet, c’est le cannabis. Comme un symbole, c’est Jean-Michel Baylet, le seul non-socialiste de la bande des six, qui a lancé ce débat, celui où les positions sont peut-être apparues les plus tranchées.
Le président du Parti radical de gauche tenait à se démarquer de ses adversaires. Sur ce sujet, c’est pleinement réussi, puisqu’il est le seul à proposer une légalisation pure et simple de la vente et de la consommation du cannabis. A l’évidence, l’arrivée de la discussion sur la table a pris les participants au dépourvu. "C’est un sujet qui nous a surpris, et nous ne pensons pas être les seuls", glisse Thomas Chadoeuf-Hoebecke, porte-parole de Manuel Valls, joint par Europe 1.fr.
Et il y a à l’évidence plus que l’épaisseur d’un papier à cigarettes entre les candidats sur le sujet. Manuel Valls a ainsi fait part de l’une des opinions les plus tranchées sur la question. "Je suis fermement opposé, au nom même des valeurs de gauche, à l’idée que je me fais de l’ordre républicain et de la liberté de chacun, à toute concession dans ce domaine-là", a lancé manuel Valls d’un ton grave. "Moi, j’ai quelqu’un de proche de moi qui a été ravagé par la drogue", a-t-il expliqué. "Alors, l’idée même qu’on puisse libéraliser, autoriser ce qui est une drogue, et ce qui est d’une manière ou d’une autre, une dépendance…" De ce proche, il n’en dira pas plus. Et son porte-parole dit ignorer les détails de cette révélation.
Un improbable front Royal-Valls-Montebourg
Détail cocasse, cette prise de position a reçu le soutien d’Arnaud Montebourg, sans doute le candidat idéologiquement le plus éloigné de Manuel Valls "J’approuve ce message", a en effet lancé le député de Saône-et-Loire. "On est au moins d’accord sur ce point", lui a répondu son camarade. "Effectivement, on n’a pas tout à fait les mêmes sensibilités sur un certain nombre de points", euphémise Thomas Chadoeuf-Hoebecke. "Sur celui-là il semblerait que si". Et Ségolène Royal, qui n’a pas pris la parole sur le sujet jeudi soir faute de temps, est aussi sur la même ligne, nous assure Najat Vallaud-Belkacem, l’un de ses soutiens.
Face à ce front Valls-Montebourg-Royal improbable, se sont retrouvés François Hollande et Martine Aubry, les deux principaux rivaux du scrutin, à en croire les sondages. La maire de Lille avait elle aussi écoulé son temps de parole, mais elle s’était exprimé la veille. "Dépénalisation, oui, et renforcement des sanctions sur les trafiquants, voilà les deux mesures qui me paraissent essentielles aujourd'hui", avait déclaré la maire de Lille à Rue89.
Hollande a été le dernier à s’exprimer/ "Est-ce que notre législation est adaptée ? Non. Est-ce qu’il faudra en changer ? Oui. Est-ce qu’il faudra maintenir l’interdit ? Je l’affirme. Est-ce qu’il faudra envoyer en prison ceux qui fument du cannabis ? Personne ne peut l’imaginer", a lancé l’ancien premier secrétaire du PS.
"La droite ne les loupera pas là-dessus"
"C’est vrai qu’hier soir se sont dégagées des positions différentes", admet Najat Vallaud-Belkacem, secrétaire nationale du PS aux questions de société. "Mais il faut d’abord voir les points d’accord entre les uns et les autres. Tout le monde reconnaît que le système prohibitionniste actuel a échoué". Quant à la position du parti, "je ne saurais pas la dire, car ça n’a pas fait l’objet d’un débat à proprement parler", poursuit l’adjointe au maire de Lyon. "Il me semble percevoir que la position à peu près consensuelle serait que ce sujet devrait faire l’objet d’un débat, avant toute chose, mais une fois la présidentielle passée." La dépénalisation du cannabis ne devrait donc pas faire l’objet d’une proposition officielle du ou de la candidate socialiste.
"Sur cette question, les positions socialistes sont plutôt rigoristes", analyse pour Europe1.fr Gérard Grunberg, chercheur à Sciences-po. "Le plus libéral sur la question a été François Hollande, et ce qui est amusant, c’est que les plus jeunes se sont montrés les plus hostiles. Maintenant, aucun, sauf Jean-Michel Baylet, n’a prôné la légalisation. On sent qu’ils ont peur de la réaction des électeurs. La dépénalisation, c’est déjà risqué de la proposer. Et il faut qu’ils fassent très attention, parce que la droite ne les loupera pas là-dessus." Du coup, le thème devrait être évité en campagne. "Les deux favoris, Martine Aubry et François Hollande, sont les plus enclins à la dépénalisation. Mais je ne suis pas sûr qu’en campagne, ils auraient le courage de soutenir clairement cette mesure", conclut Gérard Grunberg.