"En 2007, la campagne avait déjà été dure. Mais, là, on touche le fond", déplore Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole de François Hollande, sur Europe1.fr. Lundi matin, le ministre Gérard Longuet a, selon elle, "gravement dérapé" en comparant le candidat socialiste à l’Elysée au capitaine du navire Costa Concordia, dont le naufrage a fait six morts ce week-end.
Une "boule puante" de trop pour la porte-parole du candidat PS, selon qui ces piques électorales finissent par être "préjudiciables" à la démocratie. Mais y a-t-il vraiment plus de "petites phrases" dans cette campagne présidentielle ? Les politiques peuvent-ils d'ailleurs s’en empêcher ou est-ce plus fort qu'eux ? Et à qui profitent-elles ? Europe1.fr a essayé de faire le tour de la question en décortiquant petites piques, petites attaques et autres amabilités entre politiques.
Qu’est-ce qu’une petite phrase ? - Le Petit Robert définit la "petite phrase" comme étant "extraite des propos d’un homme public et abondamment commentée par les médias". La vie publique a toujours été émaillée de formules rhétoriques bien senties. Mais "la petite phrase", telle qu’on la connaît aujourd’hui, s’est développée sous la Ve République. Les médias audiovisuels qui n’avaient le temps de diffuser en intégralité les grands discours ont commencé à les résumer à des extraits, en extrayant des petites phrases. Les hommes politiques se sont alors adaptés, en multipliant délibérément ces petites piques pour bénéficier de ce traitement médiatique. Aujourd’hui, la petite phrase, "formule courte mais bien frappée" naît partout, face caméra, dans les couloirs de l’assemblée, ou en "off". "Par son caractère explosif, elle occulte dans le commentaire médiatique le reste du texte ou de la déclaration dont elle est extraite : c’est autour d’elle que le débat va s’organiser", explique même Jean-Marie Denquin, dans Le Vocabulaire politique.
Une pratique répandue - La pratique des petites phrases est un sport très répandu en politique, surtout en période électorale. Pour preuve quatre exemples bien connus. En 1981 d'abord, aux mots de Valéry Giscard d’Estaing l'accusant d'être "l'homme du passé", François Mitterrand lui rétorque qu'il est "l'homme du passif", faisant allusion aux divers scandales sulfureux du septennat, à la crise, aux déficits. En 1988 ensuite, Jean-Marie Le Pen écope de 10.000 francs d’amende pour "injure publique", après avoir qualifié l’ancien ministre de gauche Michel Durafour, de "Durafour-crématoire". En 2002, lors d’un déplacement, Lionel Jospin confie à quelques journalistes que Jacques Chirac est désormais un "président vieux, usé, fatigué". Enfin, en 2008, Nicolas Sarkozy visite le salon de l’agriculture et lance à un participant hostile : "casse toi pauv’con". La petite phrase est donc pratiquée à des degrés différents - la phrase de Jean-Marie n'est pas comparable aux autres, il été condamné pour ça - mais aucun parti n'est épargné.
UN POINT PARTOUT
Comment les justifier ? - Aujourd'hui, à moins de 100 jours d'une présidentielle, les petites piques fusent plus que jamais. Rappelons que la semaine dernière, le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, a assuré que la victoire de François Hollande, en mai prochain, aurait des conséquences comparables "à une guerre". La même semaine toujours, le socialiste Pierre Moscovici avait, de son côté, accusé l’Elysée d’avoir mis en place "des cabinets noirs" pour torpiller, dans les médias, François Hollande. A gauche comme à droite, on se rejette la responsabilité de cette avalanche de petites phrases. Pour l’UMP Valérie Rosso-Debord, c’est ainsi "François Hollande qui se damnerait pour un bon mot". Pour la PS, en revanche, c’est l’UMP qui essaie "de couvrir le bilan de son quinquennat" sous un flot de petites piques. "On a à faire à une droite aux abois et l’accumulation de ces petites phrases montre le niveau de fébrilité de l’UMP devenue incontrôlable", assure Najat Vallaud-Belkacem. De chaque côté, on reconnaît en quelque sorte se livrer à la pratique de ces petites phrase en cas de légitime défense. Il faut bien, jurent-ils, répondre "coup pour coup" - l’expression est la même dans les deux camps - aux attaques de leurs adversaires.
Qui y gagne ? - Celui qui veut faire parler de lui, pour "exister" ou s'assurer de la diffusion de son message. Plus une phrase est percutante ou vacharde, plus elle bénéficie de la caisse de résonnance que sont les médias. Bref, plus la petite phrase choque, plus elle rend visible celui ou celle qui l’a prononcée. Elle lui procure une audience inespérée pour diffuser son message. Sont ainsi nés les "snipers" - comme le secrétaire d'Etat UMP Frédéric Lefebvre - qui ont réussi à émerger sur la scène politique grâce à leur pratique assidue de ces petites provocations. Nadine Morano, au micro ou sur son compte Twitter, ou encore Jean-Luc Mélenchon, qui avait qualifié François Hollande de "capitaine de pédalo", sont aussi des experts en la matière.
"LES BOULES PUANTES"
Qui y perd ? - C'est la classe politique en général qui a le plus à perdre, explique, à Europe1.fr, Marie-France Lavarini, fondatrice de l'agence Ella Factory et co-auteure d’Abécédaire de la Ve République, un ouvrage sur l’art des petites phrases. Elle rappelle cette anecdote : en 1965, le général De Gaulle est en ballotage. On lui tend alors un dossier avec une photo de François Mitterrand serrant la main à Pétain, le 10 octobre 1942 à Vichy. Le général a alors ce mot : "je ne ferai pas la politique des boules puantes… Cela risquerait de porter atteinte à la fonction pour le cas où il [Mitterrand] viendrait à l’occuper". "Les candidats feraient bien de se souvenir de cette anecdote… ", analyse Marie-France Lavarini, "mais visiblement, ils l’ont oubliée". "Les politiques ont toujours ‘cogné’ pendant les campagnes électorales. Mais, aujourd’hui, ils sont tombés à un niveau lamentable, notamment en termes de vocabulaire. Cela atteint forcément l’image que les Français se font de la politique". Pour Najat Vallaud-Belkacem, on risque même, via ces petites piques, "de laisser s’abîmer le lien de confiance " entre politiques et citoyens.
Qu’en pensent les Français ? - La "drôle de campagne", pour paraphraser l’expression utilisée par le directeur de campagne de François Hollande, Pierre Moscovici, ne répond pas aux préoccupations de 72% des électeurs, selon un sondage OpinionWay-Fiducial. Il y a trop de "petites phrases", "trop d'"attaques personnelles", estiment aussi 84% des personnes interrogées dans une enquête TNS-Sofres. Les sondages sont sans appel.