Tout est-il permis à l'Assemblée ? Depuis l'ouverture des débats sur le mariage gay, les phrases assassines, les comparaisons douteuses et autres "dérapages" fusent à l'Assemblée. Le "vous êtes en train d'assassiner des enfants", lancé jeudi par le député UMP Philippe Cochet, a ainsi provoqué un malaise jusque dans les rangs de l'opposition. Dans la nuit de jeudi à vendredi, certains élus ont failli en venir aux mains, et une huissière se serait même pris un coup. Mais jusqu'où les députés ont-ils le droit d'aller ?
>> À lire : Mariage gay à l'Assemblée : du débat au pugilat
Que prévoit le règlement de l'Assemblée ? Les députés sont exposés au risque de se voir infliger quatre sortes de peines disciplinaires, selon le règlement du Palais Bourbon : le rappel à l'ordre, le rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal, la censure et la censure avec exclusion temporaire. Mais les motifs de sanction sont plutôt flous et s'entremêlent. Au final, c'est le Bureau de l'Assemblée qui tranche. Ses membres, un président, trois vice-présidents et trois secrétaires, sont répartis selon la même proportion que les forces politiques en place à l'Assemblée.
>> Pour lire l'intégralité du règlement, c'est ici
Un choix de sanction compliqué. La tâche du Bureau n'est pas des moindres, car la ressemblance entre les motifs des diverses sanctions est troublante. Une "interruption troublant l'ordre" est ainsi sanctionnée d'un simple rappel à l'ordre, quand une "une scène tumultueuse" est sanctionnée d'une censure, et donc de la privation, pendant un mois, de la moitié de l'indemnité du député mis en cause. De même, une "mise en cause personnelle, qui interpelle un autre député ou qui adresse à un ou plusieurs de ses collègues des injures, provocations ou menaces", n'est sanctionnée que d'un rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal, et donc d'une privation d'un quart des indemnités pendant un mois, tandis qu'un "outrages envers l'Assemblée" ou un "appel à la violence" sont punis par une censure avec exclusion temporaire. Cette dernière est la peine la plus lourde que risque un député. Elle entraîne l'interdiction de prendre part aux travaux de l'Assemblée et de revenir au Palais Bourbon pendant 15 jours, voire 30 en cas de récidive, et la privation de la moitié des indemnités pendant trois mois, voire six en cas de refus d'obtempérer.
Quelques exemples récents… En 2009, l'écologiste Noël Mamère avait reçu un rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal, pour avoir fait un bras d'honneur à un député qui l'accusait d'avoir fait rentrer des militants de Greenpeace dans l'hémicycle. Il avait ainsi vu son indemnité parlementaire être amputée d'un quart. En 2011, le communiste Maxime Gremetz a, lui, été exclu deux mois pour avoir bousculé des agents qui tentaient de le calmer. Il avait fait irruption en plein dans une réunion sur le nucléaire pour protester… contre des voitures ministérielles qu'il jugeait mal garées. Il avait également été privé de la moitié de son indemnité parlementaire pendant deux mois.
Philippe Cochet peut-il être sanctionné ? En théorie, la phrase "vous êtes en train d'assassiner des enfants", adressée à la gauche sans nommer personne, pourrait être sanctionnée pour "interruption troublant l'ordre", "scène tumultueuse" ou même "outrage"… et donc par toutes les peines possibles. "Mais ça ne devrait pas aller très loin dans ce cas là", estime le constitutionnaliste Didier Maus contacté par Europe1.fr. "L'Assemblée est censée avoir adopté le principe d'une totale liberté d'expression. Il ne faut pas sombrer dans le politiquement ultra-correct. Il y a des déjà eu des débats d'une extrême violence à l'Assemblée, comme sur l'IVG, qui n'ont jamais été sanctionnés", poursuit le spécialiste. "Philippe Cochet ne devrait pas avoir plus qu'un rappel à l'ordre", affirme également le constitutionnaliste Guy Carcassone, interrogé par Europe1.fr.
Quid des députés "bagarreurs" ? Dans le cas des tensions qui ont marqué l'Assemblée dans la nuit de jeudi à vendredi, cela pourrait aller un peu plus loin. "Je présenterai les images de cet incident à la prochaine réunion du bureau (de l'Assemblée, ndlr) et je demanderai qu'il puisse y avoir des sanctions car il y a des choses qui ne peuvent pas être acceptées", a d'ailleurs menacé le président de l'Assemblée, Claude Bartolone. Des députés UMP en colère se sont en effet levés de leur siège, cette nuit là, pour se diriger vers ceux du gouvernement. Certaines sources assurent que "quelques coups de poings" sont partis, et qu'une huissière aurait été touchée. À l'origine de la "bagarre" ? Un collaborateur de Christiane Taubira, qui se serait moqué des députés UMP.
Or, agresser ou tenter d'agresser physiquement un collègue peut effectivement être sanctionné d'une exclusion temporaire. Mais ce sera au bureau de trancher pour savoir si cet incident entre dans ce cas là. "Par ailleurs, un collaborateur n'est pas membre de l'Assemblée. Il doit montrer une neutralité parfaite. L’Assemblée peut demander à la ministre de le sanctionner", ajoute Didier Maus.
Et la justice dans tout ça ? Tout député dispose d'une immunité parlementaire. Mais cela ne l'autorise pas non plus à commettre n'importe quel crime ou délit. L'immunité prévaut surtout dans "l'exercice de la fonction" de député. Si un élu interpelle un ministre et l'insulte au sein de l'hémicycle par exemple, il pourra être sanctionné par le bureau mais le ministre ne pourra pas saisir la justice. "C'est l'Assemblée qui décide, au nom de la séparation des pouvoirs", explique Guy Carcassone.
Si le délit ou le crime est commis hors de l'activité parlementaire, l'élu peut redevenir un justiciable comme les autres… après un véritable parcours du combattant. Pour lever l'immunité d'un député, un procureur doit écrire sa demande au procureur général qui doit écrire sa demande à la garde des Sceaux qui doit écrire au bureau qui doit ensuite examiner "le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande" du procureur. C'est le bureau qui décide, ensuite, de lever l'immunité.