Le vote. On le sait, la plupart des sénateurs sont opposés à l'interdiction du cumul des mandats. Pourtant, ils ont voté jeudi le projet de loi du gouvernement, par 208 voix contre 107. La subtilité ? Ils se sont exclus du dispositif. En clair, les sénateurs ont voté l'interdiction pour un député d'exercer une fonction exécutif locale, mais ils se sont gardés le droit de le faire, en amendant le texte. Les radicaux de gauche, l'UMP, de nombreux centristes, et plusieurs socialistes ont validé cette nouvelle version. Les communistes, les écologistes et une grande partie des socialistes ont voté contre.
>> Cette rebuffade n'est-elle pas qu'un coup d'épée dans l'eau, puisque c'est l'Assemblée qui a le dernier mot ? Pas si sûr…
Ce qui attend maintenant le texte. Le projet, inscrit en procédure accélérée (une seule lecture par assemblée) doit à présent faire l'objet d'une commission mixte paritaire (7 députés et 7 sénateurs) chargée de rédiger une version commune. Mais les divergences entre les deux chambres sont telles qu'elle risque d'échouer. Il y aura alors un nouveau vote dans chaque chambre et c'est l'Assemblée qui aura le dernier mot. À majorité socialiste, elle devrait voter le texte initial du gouvernement, qui interdit le non-cumul pour tous les parlementaires. "Tout cela n'est pas une surprise", a d'ailleurs jugé dans Manuel Valls au Sénat. "Vous ne rendez pas service au Sénat parce que ce texte sera adopté in fine", a-t-il prévenu.
Le Conseil constitutionnel bientôt saisi. Plusieurs sénateurs, dont le président du groupe RDSE (à majorité radicale de gauche) Jacques Mézart, ont toutefois l'intention de contester devant le Conseil constitutionnel le droit aux députés de légiférer sur une question concernant le Sénat. L'article 46 de la Constitution prévoit, en effet, que les lois organiques concernant le Sénat doivent être adoptées en termes identiques par les deux assemblées. Mais le gouvernement reste confiant. Et pour cause : dans une décision datant de 2009 sur le code électoral et la transparence financière des parlementaires, qui fait depuis jurisprudence, les Sages ont estimé que l'article 46 ne peut pas s'appliquer si une loi concerne de manière indifférenciée le Sénat et l'Assemblée. Ce qui est le cas du texte sur le non-cumul des mandats… en tout cas dans sa version initiale.
Pourquoi les sénateurs ont bien joué leur coup. Car comme le souligne Le Figaro, les sénateurs pourraient tout de même bien avoir gain de cause. En effet, en ayant justement voté jeudi des amendements qui les excluent du projet de loi, ils ont façonné un nouveau texte qui accorde une spécificité au Sénat. Le texte ne concerne donc plus de manière indifférenciée les deux chambres. Et les sénateurs pourront donc contester devant le Conseil tout vote de l'Assemblée qui ne correspondrait pas à leurs attentes.
"Il est parfaitement possible de déduire des textes constitutionnels la possibilité pour les sénateurs de conserver un certain cumul, de manière à ce que la représentation territoriale affirmée dans la Constitution soit directement présente dans l'hémicycle du Palais du Luxembourg", confirme l'universitaire Didier Maus au Figaro. Un coup finement joué de la part des sénateurs, qui ne sont toutefois pas à l'abri non plus d'un rejet par les Sages, qui instaurerait une nouvelle jurisprudence.