Le tribunal correctionnel de Paris a renvoyé mardi, en début d’après-midi, le procès de Jacques Chirac. Un répit pour l’ex-président de la République, qui ne se verra pas tenu de comparaître devant la justice pour des emplois présumés fictifs à la mairie de Paris et à Nanterre. En cause, une question de procédure : la défense a fait valoir une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la prescription des faits.
Le député vert Noël Mamère a vivement réagi sur Europe 1, fustigeant une justice à deux vitesses. "Cette affaire illustre encore une fois qu’il y a deux justices dans ce pays : une qui prend son temps et une qui juge à l’abattage, en comparution immédiate, ceux qui sont victimes de la tolérance zéro" de Nicolas Sarkozy, a-t-il ainsi martelé. Ce report "réussit à Marine Le Pen et à ses porte-flingue", a estimé Noël Mamère. Cela "rejaillit sur l'ensemble de la classe politique", "ça me fait vomir", a-t-il encore poursuivi.
Un argumentaire partagé par Olivier Besancenot, qui dénonce "une justice à deux vitesses". "Pour les uns, c'est comparution immédiate, peines planchers. Pour l'ancien président de la République, c'est l'impunité due à son statut de président et ensuite la bataille judiciaire pour mettre en avant la prescription, l'objectif étant que Jacques Chirac ne soit jamais jugé", a fustigé le leader du NPA. Et d’ajouter : "tout cela est scandaleux et ne peut qu'alimenter une défiance encore plus exacerbée contre les hommes politiques au-dessus des lois".
Un problème d'inégalité
De son côté, l’avocat de l’association Anticor, Jérôme Karsenti, l’une des parties civiles, s'est voulu virulent, sur Challenges.fr.
" Si aujourd'hui Marine Le Pen est à 23% dans les sondages, on sait aussi que c'est parce que les puissants échappent finalement à leurs responsabilités" :
L'ONG Transparency international France déplore pour sa part "une très mauvaise nouvelle qui va à l'encontre des déclarations récentes de nombreux responsables de partis politiques sur l'urgence d'une moralisation de la vie publique". Pour l'association, "cette utilisation des ressources de la procédure risque de renforcer le sentiment de plus en plus répandu chez les Français d'une justice à deux vitesses."
Même point de vue côté socialiste : Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS de l'Assemblée nationale, juge que "le procès doit avoir lieu", "si on veut que les Français aient confiance dans les institutions". "Que le président ait une immunité s'agissant des actes qu'il accomplit dans le cadre de ses fonctions comme président de la République, cela paraît parfaitement normal. En revanche, s'agissant de son activité de candidat ou d'élu local, cela n'est pas possible. Il faut revenir à l'absence d'impunité du chef de l'État", a par ailleurs argumenté Arnaud Montebourg, sur le site du Point.
Le président du Modem, François Bayrou, a lui regretté une décision "dangereuse". "Avec tous les arguments de droit que l'on connaît, le message qui est envoyé aux Français c'est: 'selon que vous serez grand ou petit, puissant ou misérable, les jugements de cours vous rendrons blanc ou noir'", a-t-il résumé en citant Jean de La Fontaine.
L'ancienne ministre de la Justice, Elisabeth Guigou, a quant à elle fait preuve de modération. "Il ne peut y avoir ni acharnement ni esprit de revanche en quoi que ce soit mais je crois que c'est vraiment l'intérêt de la démocratie que ce procès ait lieu sinon les Français vont se dire 'il y a la justice pour les puissants et la justice pour les autres'", a-t-elle déclaré sur i-Télé.
Le procès pourrait ne jamais avoir lieu
Sur Europe 1, Michel Roussin, le directeur de cabinet de Jacques Chirac à la Mairie de Paris entre 1984 et 1993, qui fait partie des prévenus, a aussi déclaré qu'il "s'alignait sur la décision du tribunal". Toutefois, sur le fond, Michel Roussin "aimerait bien qu'on en termine". "Je boucle ma 17e année de parcours judiciaire et c’est quelque chose d’assez lourd", a-t-il ainsi confié.
Mais le procès Chirac pourrait bien ne jamais avoir lieu. Le tribunal correctionnel de Paris a fixé un rendez-vous le 20 juin, mais ce n’est pas pour juger l’ex-président. Il s'agira d'une audience de fixation, technique, pour savoir si on juge les deux affaires des emplois présumés fictifs, et quand. Et, même si le tribunal décide de juger Jacques Chirac, le procès risque d’être reporté très tard : les audiences de fin 2011 sont surchargées, et il paraît peu envisageable de juger un ancien chef d’Etat en 2012, en pleine année électorale.