Le mot de la discorde. L'annonce, lundi, par Nicolas Sarkozy d'un grand rassemblement autour du "vrai travail" le 1er mai, jour de la traditionnelle fête syndicale, a suscité un tollé à gauche, le PS fustigeant une expression qui divise ; François Hollande raillant le bon mot du "candidat du vrai chômage".
Le président-candidat qui se pose en défenseur de la "valeur travail" par opposition à "l'assistanat" s’est même attiré, avec cette invocation du "vrai travail" les foudres des syndicats. La CFDT a par exemple jugé "inquiétante" la tentative de "responsables politiques" de "s'autoproclamer uniques représentants des travailleurs".
Une histoire d’épithète
Comment deux mots - un adjectif et un nom - ont-ils réussi à faire couler tant d'encre ? Tout est dans la place de l’épithète "vrai", répond sur son blog Marie-Anne Paveau, professeure en sciences du langage à l’université de Paris 13.
Dans un texte intitulé Une "vraie" épithète présidentielle, la professeure analyse et dissèque les deux mots du président-candidat : "La place de l’épithète est un problème classique en syntaxe du français. (…) À droite, certains adjectifs prennent un sens plutôt objectif (on dirait mieux : objectivisant), à gauche un sens plutôt subjectif. Exemple : Un homme grand - Un grand homme".
Ainsi avec son expression “un vrai travail”, Nicolas Sarkozy induit un jugement : le travail devient alors "la valeur travail". "Un vrai travail, c’est un travail que je qualifie de vrai. Autrement dit c’est un travail qui respecte les normes de ce que j’appelle travail, qui en possède tous les traits sémiques, diraient les sémanticiens. Les autres sont 'non vrais' ", note encore Marie-Anne Paveau.
"Sarkozy essaie ici de séparer le bon grain de l’ivraie"
Lundi, devant son QG de campagne, Nicolas Sarkozy énumérait lui-même les caractéristiques du vrai travail : il est l’œuvre, selon lui, de "ceux qui travaillent dur, de ceux qui sont exposés, qui souffrent, et qui ne veulent plus que quand on ne travaille pas, on puisse gagner plus que quand on travaille".
Tout est là : "le ‘vrai travail’ est donc celui des travailleurs ‘exposés’ qui s’opposent à ceux qui le sont moins, à ceux qui ont un statut, un CDI, ceux qui sont à l’abri… les presque planqués", explique à Europe1.fr le politologue Stéphane Rozès, président de Conseils, analyses et perspectives (CAP). "On voit bien que Nicolas Sarkozy essaie ici de séparer le bon grain de l’ivraie. Ce qui est peu commun dans un second tour qui a plutôt vocation à rassembler, à faire tenir ensemble la diversité d’un pays", ajoute-t-il.
Avec ses deux mots, Nicolas Sarkozy provoque, donc, selon le politologue, "une rupture symbolique". Une rupture pour aller chercher des électeurs eux-mêmes en rupture ?