Robert Ménard, c’est d’abord un fort en gueule. Sa notoriété doit beaucoup à ce trait de caractère, qui a marqué chaque étape de sa carrière, professionnelle d’abord, politique ensuite. Et si l’ancien journaliste a remporté la mairie de Béziers, dimanche à l’issue du second tour des municipales, il le doit en partie à son verbe toujours haut. Il le doit, aussi, aux circonstances. Car c’est sous l’étiquette du Rassemblement bleu marine (RBM), émanation "soft" du Front national, qu’il a été élu, dans un contexte national de crise sociale aigüe et de rejet de la gauche et la droite. Un positionnement à l’extrême droite payant donc, pour celui qui fit pourtant ses premières armes politiques à l’extrême gauche et accéda à la célébrité en se faisant le chantre de la liberté de la presse à travers le monde. C’est qu’à 60 ans, le nouveau maire de Béziers semble avoir vécu plusieurs vies.
>>> POLITIQUE, ACTE I : A GAUCHE TOUTE
Robert Ménard n’est pas né dans la deuxième ville de l’Hérault. C’est à Oran, en Algérie, que ce fils de pied noir catholique a vu le jour, le 6 juillet 1953. En 1962, comme des milliers d’autres, sa famille, qui était installée sur place depuis 1850, est contrainte de rentrer en métropole. Les Ménard débarquent dans l’Aveyron, puis à Béziers, dans le quartier déshérité de La Devèze. Son père et son oncle militent à l’OAS, mais, s’il garde encore aujourd’hui la nostalgie de l’Algérie française, c’est l’extrême gauche qu’il choisit finalement.
Militant à la LCR… et au PS. Dès mai 1968, à seulement 14 ans, il contribue à faire fermer son collège religieux, à Saint-Affrique après avoir un temps envisagé d’être prêtre. Après des études de philosophie à Montpellier, il milite entre 1973 et 1979 à la Ligue communiste révolutionnaire à Béziers. Il entre ensuite au Parti socialiste, qu’il quitte en 1981. Dès lors, il délaisse la sphère politique. Pour un temps.
>>> LA PERIODE RSF, UNE NEUTRALITE TOUTE RELATIVE
Robert Ménard embrasse alors une autre carrière, celle de journaliste. En 1978, en infraction à la loi de l’époque, il lance une radio libre, radio Pomarède, une initiative qui lui vaudra moult poursuites judiciaires. Il démontre à cette occasion sa persévérance, puisqu’il ne cessera jamais d’émettre, et son leadership, puisqu’il présidera l'Association Consensus Liberté Radio. En 1983, il entre à Radio France Hérault, qu’il quittera en 1989 pour se consacrer exclusivement à Reporters sans frontières (RSF).
A RSF, président emblématique… Car voilà bien la grande œuvre de Robert Ménard. En 1985, il cofonde, avec trois autres journalistes, Reporters sans frontières, à Montpellier. En 23 ans de présidence, armé de sa seule volonté et de sa science des coups médiatiques, il fait passer sa création du statut de petite association à celui d’interlocuteur inévitable dès lors qu’il s’agit de liberté de la presse. En 2005, il est en première ligne pour réclamer la libération de Florence Aubenas, otage en Irak. Mais c’est surtout en 2008, à l’occasion du passage de la flamme olympique à Paris, qu’il réalise son plus gros coup. RSF gâche en effet la fête, organisée conjointement avec les autorités chinoises, les JO devant se dérouler quelques mois plus tard à Pékin.
L’affiche des menottes olympique a notamment marqué les esprits.
… Mais critiqué. Au sein même de son association, la personnalité même de Robert Ménard ne fait pas l’unanimité. Dès 1993, Jean-Claude Guillebaud, cofondateur, quitte le navire, en dénonçant la complaisance de Robert Ménard vis-à-vis des médias français. Une complaisance assumée par l’intéressé dans Marianne en 2001 : "pour nous médiatiser, nous avons besoin de la complicité des journalistes, du soutien de patrons de presse et de l'argent du pouvoir économique", expliquait le président de RSF.
De son côté, Rony Brauman, un autre membre cofondateur de l’association, prend ses distances en 1995, dénonçant l’"autoritarisme" de son président. "Non seulement Ménard ne voulait rien entendre, mais toute personne qui faisait entendre une voix discordante, qui posait une question qui ne lui convenait pas, était impitoyablement réprimée, voire virée, en tout cas, harcelée", racontait en 2007 l’ex-président de Médecins sans frontières dans un livre sur Cuba. "C’était un crime de lèse-majesté. Il avait vraiment un comportement tyrannique, d’une autocratie épouvantable", poursuit celui qui, parmi d’autres, a aussi reproché à Robert Ménard de combattre prioritairement des dictatures de gauche et hostiles aux Etats-Unis.
>>> POLITIQUE, ACTE II : A L’EXTREME DROITE
Journaliste d’opinion. Car si Robert Ménard est alors perçu dans l’opinion comme un homme de gauche, cela fait bien longtemps que lui ne se perçoit plus comme tel. Et peu après son départ surprise de RSF, en septembre 2008, les inclinaisons politiques du futur maire de Béziers vont peu à peu être mises au jour. D’abord sur le plateau d’iTélé et dans les studios de RTL, où il tient des chroniques régulières volontiers taxées de réactionnaires. En janvier 2011, il lâche qu’il regrette que la peine de mort ait été abolie. L’extrait fera beaucoup de bruit.
Quand Ménard regrette l'abolition de la peine...par LePostfrL’homme est finalement écarté de RTL en juin 2011, il se rabat sur la plus confidentielle Sud Radio, où il n’hésite pas à inviter des personnalités sulfureuses comme Dieudonné ou Alain Soral. En juillet 2012, il est viré d’iTélé. Il créé en octobre de la même le site internet Boulevard Voltaire. Son entrée en politique est alors imminente.
Et pour l’orientation politique, le mystère est, disons, mince. Ce ne sera pas à gauche, clairement. "Quand vous dirigez une association de droits de l’homme, il va de soi que vous êtes de gauche. Le problème, c’est que je ne suis pas de gauche", lâchait-il dans Les Inrockuptibles en avril 2011. L’ex-président de RSF était venu défendre un brûlot intitulé Vive Le Pen, qui en disait déjà long sur les préférences du monsieur. Un an plus tard, moins commenté mais tout aussi polémique, paraissait un Vive l’Algérie française sans équivoque.
Alors quand, fin mai 2013, le Front national annonce qu’il soutient la candidature de Robert Ménard à Béziers, la surprise n’est que relative. "Je reçois le soutien du Front national mais je n'ai rien négocié avec le FN", assurait-il alors. "Le FN représente 20 à 25 % des voix, vous pensez que tous ces électeurs sont des fachos. Sûrement pas", s’emportait-il. Depuis, le très médiatique Robert Ménard s’est fait des plus discrets, arpentant avec efficacité sa ville de Béziers. Qu’il dirigera bientôt, quand le conseil municipal l’aura élu maire. Il sera temps, alors de refaire parler de lui dans les médias. Armé comme il l’est, Robert Ménard ne devrait pas avoir de mal à s’y faire une place de choix.