Comme un air de famille. Quand on entre dans la maison de Pierre Louault, une photo retient l'attention. Son affiche de campagne lors des dernières cantonales, placardée sur la porte qui mène à la salle à manger. Le maire de Chédigny, qui en impose naturellement, prend la pose au milieu d'enfants et d'habitants de sa commune. Un peu en retrait, au quatrième rang, on aperçoit son fils, Vincent.
Six ans plus tard, père et fiston ont chacun leur affiche pour les municipales. A la surprise de son père, Vincent, 42 ans, a décidé de s'investir pour ses municipales en se déclarant candidat à Cigogné, située seulement à sept kilomètres de Chédigny, bourgade de 554 habitants, où son père, Pierre se représente pour un septième mandat. Le "fils de" va-t-il réussir son pari ? Alors qu'ils partagent déjà le même métier d'agriculteur, quel héritage politique Pierre a-t-il transmis à son fiston ? A 15 jours des élections municipales, nous avons partagé leur quotidien pendant 24 heures.
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"T'emmerdes pas avec ça !" Vincent a mis trois mois avant de dire à son père qu'il serait candidat à Cigogné, juste à côté du fief du patriarche depuis près de 40 ans. Le temps de constituer sa liste, de peaufiner son projet pour la commune pour "faire les choses bien". Manière de dire qu'il redoutait un peu la sentence paternelle. Il avait raison. "T'emmerdes pas avec ça !", lui a d'abord asséné son père, pourtant lui-même candidat pour un septième mandat dans son village rempli de roses. "Il m'a mis devant le fait accompli", rétorque aujourd'hui Pierre Louault. Un peu désarçonné au premier abord, le père se félicite aujourd'hui que son fils suive ses pas en politique. Sans jamais prendre vraiment le temps de le dire à Vincent car, dans la famille, on n'a pas pour habitude d'exprimer ses sentiments. "Il ne me le dit jamais mais j'ai su par d'autres élus qu'il était fier", confie le fils aîné.
"Vincent m'a mis devant le fait accompli !" :
"Faire différemment". A Vincent de faire ses preuves en politique, de vivre sa première expérience d'élu, quitte à morfler un peu pour s'endurcir. "Il ne faut pas qu'il fasse ce que je fais, il faut qu'il fasse différemment", prévient son père. Ce qui ne l'empêche pas de donner des conseils à son fils quand celui-ci lui demande. "Deux, trois astuces", résume Vincent sur des sujets chauds comme les rythmes scolaires ou la stratégie politique à adopter dans une petite commune où tout le monde connaît tout le monde.
La liste des conseils de campagne de Pierre à Vincent :
"Ça arrangeait papa". Père et fils ont deux sujets de prédilection à table. La politique et la ferme. En théorie, le patriarche s'occupe de moins en moins de l'exploitation familiale de 430 hectares ; en pratique, il continue d'y mettre son grain de sel et surveille l'affaire. Comme en politique, Pierre Louault aime "donner le 'la". "Pense à faire ça, il faudrait faire ceci", répète-il souvent à son fils. Quand on demande à Vincent si devenir céréalier et éleveur de vaches à viandes relevait de l'évidence, il vous répond qu'il a été "formaté" pour ça. "Et puis, ça arrangeait papa que je reprenne la ferme", lâche t-il. L'exploitation remise dans les mains de son fils, Pierre Louault a pu mener à bien son ascension politique au niveau local. La mairie de Chédigny, puis la prise du canton de Loches, puis la présidence des communautés de communes. "Si mon fils n'avait pas été capable d'assumer des responsabilités sur la ferme, j'aurais eu beaucoup de mal à faire tout ça. Il m'a aidé incontestablement", reconnaît-il aujourd'hui, avec la pudeur qui le caractérise.
"Pas les Tibéri". Les déceptions politiques, les traquenards, les combines électorales, Pierre Louault en a connu en quarante ans de carrière politique locale. "Je me suis parfois fait baiser (sic) comme un centriste", plaisante le père, élu UDI, après avoir été au Nouveau Centre. Vincent, lui, n'est pas encarté et mène une liste apolitique à Cigogné. Loin des partis qu'il trouve "médiocres" et qui contribuent, selon lui, à la défiance des Français vis-à-vis de la politique dans le côté "tous pourris".
Les Louault partagent cette même exigence de moralité en politique. Et n'imaginent pas un seul instant que le fils puisse succéder à son père, quand Pierre décidera de passer la main. "Les transmissions de père en fils à la Tibéri, ce n'est pas du tout dans la conception que je me fais de l'engagement en politique !", s'agace Vincent. "Ça me choque même. Je préfère me prendre une douille à Cigogné que d'être élu dans un fauteuil à Chédigny", s'exclame t-il. "Mon fils peut faire de la politique ailleurs mais pas sur mon territoire", renchérit Monsieur le maire. "Je ne peux pas envisager qu'il devienne mon successeur de droit divin", ajoute t-il.
S'ils sont élus dans 15 jours - ce qui est certain pour Pierre, qui n'a plus de concurrents depuis trois élections municipales - "je les ai tous achevés !", s'amuse t-il - le fils n'entend pas copier son père. Vincent l'a toujours connu élu rural. S'il admire son patriarche avec qui il collait les affiches électorales enfant, il n'a rien oublié des inconvénients de la fonction et en "en a tiré des enseignements".
Tel fils, tel maire ? "A la maison, on a eu le mauvais côté, il était souvent pas là le soir, il n'a jamais pu assister à un de mes conseils de classe", se remémore t-il. Le côté corvéable à merci du maire, Vincent n'en veut pas. "Il faut arrêter avec le mythe de l'élu rural qui doit être disponible 24 heures sur 24h. Le rôle d'un maire, c'est d'être au-dessus de la mêlée tout en sachant écouter. Il faut savoir mettre des barrières et ne pas se prendre pour l'assistante sociale du village", estime ce "gestionnaire" et homme de dossiers, qui peut vous parler pendant des heures et des heures d'agriculture et d'environnement.
Après 37 ans de mandat à la tête de la mairie de Chédigny, son père voit les choses autrement. "Etre disponible en permanence, c'est plus qu'un engagement, c'est presque une obligation", tranche Pierre Louault. Si quelqu'un meurt, on appelle le maire, s'il y a un incendie aussi, dans ma fonction, j'ai éteint les feux une dizaine de fois avant que les pompiers arrivent", se souvient-il.
Dans l'évolution du rôle du premier magistrat d'une petite commune - qui, rappelons le, ne gagne que 600 euros par mois, ce n'est pas le côté assistante sociale qui déplaît à Pierre Louault, même s'il est nostalgique d'un temps où les habitants avaient plus de gratitude pour leur maire. Non, ce qu'il a du mal à supporter aujourd'hui, c'est la lourdeur administrative du quotidien. Le permis de construire de la future boulangerie qui tarde à arriver alors que les travaux ont déjà commencé. Malgré tout, Monsieur le maire n'est pas prêt à abandonner sa commune. Dans six ans, il se voit encore dans sa bourgade où il taille les rosiers presque quotidiennement et se prépare "dans sa tête à n'y être, un jour, que le jardinier". Qu'il se rassure : avec Vincent, la relève politique est déjà là, ailleurs qu'à Chédigny, bien sûr.