En annonçant dimanche dans le JDD son intention d’en finir avec la prostitution en France, Najat Vallaud-Belkacem, ministère du Droit des femmes, s’est assignée une mission titanesque, sinon impossible. Depuis plusieurs décennies, le pouvoir s’est en effet attelé au phénomène à plusieurs reprises, sans jamais parvenir ne serait-ce qu’à l’endiguer. C’est que le problème paraît insoluble.
Abolitionniste depuis 1946
Officiellement, en matière de prostitution, la France est abolitionniste depuis l’après-guerre. Depuis 1946 en fait, et la promulgation de la loi "Marthe Richard", qui ordonnait la fermeture des maisons closes et introduisait le délit de racolage dans la Code Pénal. La législation ne cessera ensuite d’être durcie, avec notamment, sous la présidence de Charles De Gaulle, l’introduction du délit pour cohabitation avec une prostituée en 1958 et en 1960 la pénalisation du racolage passif.
Puis Mai 68 secoue la France. Et le mouvement s’infléchit dans les années 1970. En 1972, les revenus des personnes prostituées deviennent soumis à l’impôt dans une reconnaissance légale implicite de l’activité. Trois ans plus tard, pour la première fois, des prostituées participent à une émission, Les Dossiers de l’écran en l’occurrence, à visage découvert. Des associations fleurissent un peu partout en France pour venir en aide aux prostitués. Ces dernières sont peu à peu considérées comme des victimes. Cela sera encore plus vrai avec l’apparition à la fin des années 1980 de l’épidémie de Sida. Et en 1994, les délits de cohabitation et de racolage passifs sont supprimés à l’occasion de la réforme du Code pénal.
La dernière législation en matière de prostitution date de 2002, avec la réintroduction du délit… de racolage passif. La mesure, prise à l’initiative du ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, avait donné lieu à l’un des derniers grands débats politiques sur la prostitution dans le pays
Durant toutes ces années, est également revenue régulièrement dans le débat la réouverture des maisons closes, quelles que soient le nom qu’on ait voulu leur donner, de "clinique sexuelles" (1970) à "Eros center" (1972) en passant par "maisons de tolérance" (1947). Mais de tels établissements ne seront finalement jamais autorisés à rouvrir leurs portes.
Pénaliser les clients
Une chose est sûre : quelle qu’ait été la législation adoptée, elle n’a jamais fait reculer la prostitution en France même si, en l’absence de statistique officielle, difficile de dégager une tendance. En 2010, selon la Fondation Scelles, pro-abolition, l’Hexagone comptait entre 18.000 et 20.000 prostituées de rue. Un chiffre qui ne comprend donc pas toutes les prestations sexuelles pratiquées par les escort, via internet ou dans des solutions de massage par exemple. D'après un rapport parlementaire d'avril 2011, il s'agit pour 80% de femmes et pour 80% de personnes étrangères.
Najat Vallaud-Belkacem n’est donc pas la première à s’attaquer au problème. La ministre jure avoir évalué l’ampleur de la tâche. "Je ne suis pas naïve, je sais que ce sera un chantier de long terme", admet-elle.
Mais la porte-parole du gouvernement compte bien s’appuyer sur une mesure qui n’a encore jamais été appliquée en France : la pénalisation des clients. Un texte est déjà dans les tiroirs, une résolution allant dans ce sens ayant été votée par tous les partis à l’Assemblée la fin de l’année 2011. "Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, et moi-même ne resterons pas inactifs sur cette question", a assuré la ministre du Droit des femmes. Et il ne faudra effectivement pas l’être, car le texte doit encore être étudié par le Sénat et revenir à l’Assemblée avant de se transformer en véritable loi.
Le consensus politique sur la question pourrait toutefois accélérer les choses si les partis ne s’écharpent pas sur le racolage passif. Pendant la campagne présidentielle, François Hollande, s’il ne s’était pas prononcé sur la pénalisation des clients, avait en revanche promis de supprimer ce délit rétabli par Nicolas Sarkozy en 2003. Une proposition aussitôt jugée "naïve et laxiste par l’UMP.
"La porte ouverte à tous les abus"
A cette opposition politique s’ajoutera celle des principales intéressées, franchement hostiles à l’abolition de leur métier en général et à la pénalisation de leurs clients en particulier. "Quand on veut supprimer la prostitution, ça veut dire supprimer quelques milliers de professionnel(le)s, ça veut dire mettre quelques milliers de personnes à la rue", juge Corinne, porte-parole du "Collectif du 16e arrondissement", qui rassemble des indépendantes du Bois de Boulogne.
"C’est ce genre de lois qui nous poussent à nous isoler, à recourir à des intermédiaires", abonde sur Europe 1 Morgane Merteuil, secrétaire générale du syndicat du travail sexuel (Strass). "Ce n’est certainement pas en pénalisant l’activité que la violence va disparaître, bien au contraire. Ça permet juste de déplacer le problème dans l’illégalité, donc dans la marginalité qui est la porte ouverte aux réseaux, aux mafieux et à tous les abus."
Au contraire, les associations partisanes de l’abolition de la prostitution applaudissent. Mais elles savent que ce sera dur. "On sent que Mme Vallaud-Belkacem a entendu les revendications des associations de droits des femmes, espérons qu'elle aura les moyens de sa politique", a prévenu Ernestine Ronai, vice-présidente de l'Amicale du Nid, qui milite depuis longtemps pour l’abolition. "C'est un chantier pour lequel il faut des moyens législatifs et financiers", a-t-elle martelé.
Le Parti socialiste en est d’ailleurs conscient. Olivier Faure, proche de Jean-Marc Ayrault, a tempéré le volontarisme de Najat Vallaud-Belkacem dès lundi matin sur Europe 1. "L'attention est louable, mais attention à la mise en place de telles mesures", a mis en garde le député de Seine-et-Marne. "Le risque c'est de voir se développer plus encore dans la clandestinité qu'aujourd'hui cette activité qui est répréhensible et donc de renvoyer des femmes à leur sort", a encore estimé l’élu, confirmant l’ampleur de la tâche.