Après avoir conquis le pouvoir en France, Emmanuel Macron se jette dans l’arène européenne. Le président français, renforcé par une victoire écrasante aux élections législatives, est à Bruxelles jeudi et vendredi pour participer à un Conseil européen où il se sait très attendu. Avec Angela Merkel en soutien, il va plaider pour une Europe qui protège, via une défense commune, un renforcement des frontières et la lutte contre le dumping social avec la refonte de la directive des travailleurs détachés. Il veut aussi se montrer ferme face au Royaume-Uni dans le cadre du Brexit, mais aussi aux dirigeants eurosceptiques. Sans être certain de gagner le(s) bras de fer.
"Il est très bien entouré". "Il y a une grande attente", confirme Daniel Cohn-Bendit, ancien eurodéputé écologiste. "Ce qu’on ne connaît pas, c’est le travail en amont de ses équipes. Mais avec notamment Philippe Etienne (conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron, ndlr), qui connaît très bien la maison, normalement il est très bien entouré", poursuit celui qui avait apporté un soutien discret à Emmanuel Macron pendant la présidentielle. Philippe Etienne a été en effet le représentant permanent de la France à l’Union européenne entre 2009 et 2014 et les arcanes de Bruxelles n’ont plus de secret pour lui.
Une tâche immense. Restent les dossiers chauds. A Bruxelles, Emmanuel Macron s’avance ambitieux. Il veut tout à la fois lancer une politique commune de défense, instituer un budget et un ministre des Finances de la Zone euro, renforcer les frontières extérieures de l’Union, durcir la directive sur les travailleurs détachés… Bref, la tâche est immense. "Il a un argument qui va toucher une partie des partenaires, notamment l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ou encore la Finlande, c’est de dire : ‘si vous avez eu peur que Marine Le Pen soit élue, si vous être bien contents que je l’ai battue, il y a quand même une responsabilité de l’Europe", explique Daniel Cohn-Bendit, par ailleurs chroniqueur sur Europe 1. Beaucoup de pays sont en effet gré à Emmanuel Macron d’avoir empêché la très eurosceptique présidente du FN d’accéder au pouvoir en France, ce qui aurait été une catastrophe pour l’UE. Un levier qu’il ne manquera pas d’activer.
Affrontement en vue avec les pays de l’Est. Ensuite, il lui faudra s’adapter au cas par cas, selon les dossiers. "Le premier terrain sur lequel il va attaquer, c’est les travailleurs détachés. Il va falloir qu’il fasse un compromis, qu’il trouve des alliés. Ça dépendra de sa capacité diplomatique", estime Daniel Cohn-Bendit. Sur ce terrain comme sur d’autres, il va affronter les pays de l’Est. Emmanuel Macron a d’ailleurs prévu de rencontrer les dirigeants du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) vendredi en marge du conseil. Et de les rappeler à leurs devoirs.
" L'Europe n'est pas un supermarché "
"Quand j'entends aujourd'hui certains dirigeants européens, ils trahissent deux fois. Ils décident d'abandonner les principes, de tourner le dos à l'Europe, d'avoir une approche cynique de l'Union qui servirait à dépenser les crédits sans respecter les valeurs. L'Europe n'est pas un supermarché", rappelle ainsi le président français jeudi dans Le Figaro. La discussion s’annonce donc tendue, notamment sur l’accueil des réfugiés. "Il va y avoir un bras de fer compliqué sur les réfugiés", pronostique Daniel Cohn-Bendit. "Le problème, c’est que s’il dit aux Polonais et aux Hongrois : ‘vous devez en faire plus’, il devra aussi montrer que la France en fait plus que ce qu’elle fait actuellement", prévient celui qui a siégé au Parlement de Strasbourg pendant 20 ans, de 1994 à 2014.
Mais Emmanuel Macron a un atout à même de séduire le groupe de Visegrad, et d’autres. S’il manœuvre bien, il pourra atténuer l’omnipotence allemande, qui commence à lasser l’union européenne. Il est temps de contrebalancer l’influence de l’Allemagne, car les peuples deviennent dangereusement méfiants à l’égard de ce pays, et cela, seul Macron peut le faire", assure Enrico Letta, ancien président du Conseil italien, jeudi dans Libération. Il existe d’ailleurs des sujets de friction potentiels avec Berlin. Sur les perturbateurs endocriniens par exemple, ou sur la gouvernance de la Zone Euro, à laquelle Angela Merkel montre encore des réticences.
Faire renaître le moteur franco-allemand. Mais sur ce sujet, Angela Merkel pourrait évoluer. "Mon sentiment est que l'Allemagne n'est pas bloquée là-dessus", veut croire Emmanuel Macron dans Le Figaro. Et c’est pour lui essentiel. Car en Europe, le chef de l’Etat veut refaire de l’axe franco-allemand le moteur de l’Union européenne. "Je souhaite que nous revenions à l'esprit de coopération qui existait jadis entre François Mitterrand et Helmut Kohl. On ne se rend pas à un Conseil européen sans avoir de position commune", édicte le président français. "Cela ne veut pas dire que nous sommes d'accord sur tout. Mais que nous ne voulons pas perdre de temps à demander aux autres d'arbitrer nos désaccords." Cette méthode a le double avantage de réduire la toute-puissance allemande sans fâcher Berlin.
" Merkel est complètement fascinée par Macron "
Et pour cela, Emmanuel Macron peut semble-t-il compter sur la bienveillance d’Angela Merkel. "Une vraie relation s’est nouée entre Angela Merkel et Emmanuel Macron". Beaucoup plus qu’avec François Hollande", assure Daniel Cohn-Bendit, qui fait notamment référence à leur conférence de presse commune, après leur première rencontre, le 15 mai dernier. "Elle était complètement fascinée par Macron", s’enflamme l’eurodéputé. "Elle portait sur lui un regard de Brigitte (Macron) et d’une maman. Elle était absolument sous le charme", rigole-t-il.
C’est donc fort de plusieurs atouts qu’Emmanuel Macron se présente à son premier Conseil européen. Mais il lui faudra être habile, car les écueils ne manquent pas. Sans compter qu’il y aura les négociations du Brexit à lancer sur de bonnes bases. La pression est grande pour le président français. Ces deux jours à Bruxelles poseront les bases des relations entre Paris et ses partenaires européens pour les cinq années à venir.