À Fréjus, Marine Le Pen propose son "union des nations européennes" contre l'UE

© YANN COATSALIOU / AFP
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La présidente du Rassemblement national, à Fréjus dimanche, a lancé sa campagne pour les élections européennes en présentant un projet alternatif, recentré sur les fondamentaux du parti : la lutte contre l'immigration et la défense du pouvoir d'achat.

"Il faut que tout change pour que rien ne change", écrivait Giuseppe Tomasi di Lampedusa dans Le Guépard. Dimanche, au théâtre Le Forum de Fréjus, dans le Var, Marine Le Pen a fait l'exact inverse : sans rien modifier au diagnostic classique que pose son parti, le Front national devenu Rassemblement national, sur la société française, la députée a proposé des solutions sensiblement différentes. Tout en pilonnant sur l'immigration et le pouvoir d'achat, deux antiennes de sa famille politique, Marine Le Pen a abandonné l'idée d'une sortie de l'Union européenne et de l'euro, solutions autrefois prônées pour venir à bout de tous les maux. Il s'agit désormais pour la présidente du RN de défendre une autre Europe, une "union des nations européennes".

Un discours classique sur le pouvoir d'achat... Après une entrée en matière musclée, pendant laquelle l'élue RN s'en est violemment pris à Emmanuel Macron, Marine Le Pen s'est concentrée sur ses deux sujets de prédilection, le pouvoir d'achat et l'immigration. Sur le premier, elle a misé sur la précision et les images concrètes, égrenant les hausses des prix à la pompe, du fioul, du gaz, du contrôle technique ou encore du timbre-poste, et prenant la défense des retraités. "Le candidat pro-business devenu président affiche les plus mauvais résultats économiques de la zone euro", a scandé la députée. "Les lois de déréglementation n'ont fait qu'ajouter à la précarité. Les théories du ruissellement ou du premier de cordée relèvent du jugement biaisé d'un banquier d'affaires." 

 

Baisse des APL, "restriction des dispositifs en faveur des handicapés" et prélèvement à la source, qui ouvre selon elle la perspective de la "suppression du quotient familial" : Marine Le Pen s'est indignée contre "cette politique pour les très riches qui a eu un impact direct et lourd sur la vie des Français". Fidèle à son style direct aux inflexions populistes, elle a dénoncé, en s'adressant à son auditoire, "l'argent qu'on a pris dans votre poche".

...et la "submersion migratoire".Sur l'immigration, la présidente du Rassemblement national a été plus diserte encore. "Aujourd'hui les préfets n'ont plus qu'une seule activité. Ils ne s'occupent plus que de cela : les migrants", a-t-elle regretté. "Les Français doivent savoir qu'un migrant mineur coûte 4.200 euros par mois, que l'AME [l'aide médicale de l'Etat, destinée aux personnes en situation irrégulière] leur coûte 2 milliards par an. Il n'y a plus d'argent, nous dit-on tous les jours. Il n'y a plus d'argent pour le pouvoir d'achat des retraités, les handicapés ou équiper la police mais il y en a pour l'immigration. Alors qu'en 30 ans il n'y a jamais eu d'argent pour les SDF, aujourd'hui on trouve sans problème des dizaines de milliers de places d'hébergements pour les migrants." 

" Nous assistons à un 'ensauvagement' de la société, avec ses meurtres gratuits, faits de terroristes et d'individus ultra violents. "

Évoquant à plusieurs reprises la "submersion migratoire", élément de langage caractéristique de l'extrême droite, Marine Le Pen l'a directement liée à la délinquance en brossant le portrait effrayant d'une "France Orange mécanique" en proie à la violence. "Le déni est de mise. J'ose dire que cette déferlante aggrave encore les problèmes de sécurité. On le voit avec les actes délictueux des migrants", a-t-elle lancé. "Nous assistons à un 'ensauvagement' de la société, avec ses meurtres gratuits, faits de terroristes et d'individus ultra violents qui vous poignardent pour un regard, une cigarette. Nous ne voulons plus que les Français adoptent des postures d'évitement. Nous ne voulons plus qu'ils baissent les yeux, évitent des rues ou des quartiers, adaptent leurs tenues vestimentaires à cause des pressions que fait peser sur eux cette délinquance et cette criminalité nouvelle."

Une "autre Europe". Les causes de tous ces problèmes sont clairement identifiées pour l'extrême droite. Sans surprise, Marine Le Pen a tapé à la fois sur "les choix politiques mortifères" d'Emmanuel Macron et l'Union européenne. Mais, et c'est là que son discours a changé, il n'est plus question pour la présidente du Rassemblement national de prôner un référendum sur le "Frexit" ou un abandon de l'euro. Marine Le Pen défend désormais une "autre Europe", "l'union des nations européennes". "Le 26 mai [date du scrutin des européennes], ce sera ça contre l'Union européenne, les nations contre la commission." Et la présidente du RN de défendre, si elle gagne, "le passage de l'UE à l'UNE selon un calendrier décidé par la nouvelle assemblée" du Parlement européen. 

" En Hongrie, en Pologne, en Autriche, [où] nos idées sont déjà au pouvoir. La parenthèse mondialiste se referme. "

La faillite du discours anti-euro. Ce glissement notable dans le discours est lié à deux choses, l'une interne au parti, l'autre externe. D'abord, la faillite du discours sur la sortie de l'euro et le Frexit. C'est ce point de son programme, plus que tout autre, qui a plombé l'ancienne candidate à la présidentielle en 2017. Incapable d'avoir une ligne claire sur le sujet, d'expliquer doctement comment elle comptait s'y prendre, Marine Le Pen avait perdu pied notamment pendant le débat d'entre-deux tours. Les incompréhensions et les désaccords autour de ces questions ont fragilisé son parti, au point de provoquer le départ de son bras droit, Florian Philippot. Ce dernier parti, la présidente du RN a donc choisi d'abandonner un certain nombre de ses propositions.

La vague des "nationaux" en Europe. L'autre raison est à aller chercher chez nos voisins européens : un peu partout, notamment en Italie et en Hongrie, Marine Le Pen voit ses alliés remporter les élections. Saluant une "victoire des nationaux partout" en Europe, notamment "en Hongrie, en Pologne, en Autriche, [où] nos idées sont déjà au pouvoir", la députée s'est réjouie de pouvoir imposer, en s'alliant avec ces gouvernements, une autre idée de l'Europe. "La parenthèse mondialiste se referme. C'est bien pour le monde, bien pour la planète, bien pour les gens."

" Le combat des nations contre l'Union européenne est un combat d'indépendance. Ce sont les nations qui vont reconstruire et sauver l'Europe. "

Opposition entre "vrais européens" et "européistes". Ce faisant, Marine Le Pen installe clairement une opposition frontale entre elle et ses alliés d'extrême droite, ces "nationaux", et les "européistes" sur la ligne d'Emmanuel Macron. "Notre Europe, c'est une Europe des valeurs suprêmes : celle de la liberté des individus et des peuples. Nous qui sommes les vrais européens, [nous laisseront] les peuples libres de décider s'ils veulent en être, s'ils veulent coopérer ou non. Le combat des nations contre l'Union européenne est un combat d'indépendance. Ce sont les nations qui vont reconstruire et sauver l'Europe."

Objectif : remporter l'élection. Avec ce "projet alternatif", Marine Le Pen fait le pari qu'elle ne rebutera pas les électeurs potentiellement échaudés par la solution radicale du "Frexit", surtout au vu des difficultés actuelles du Royaume-Uni pour mettre en oeuvre son Brexit. En proposant une Europe "respectueuse des identités propres", la présidente du RN espère progresser dans l'opinion et arriver en tête de l'élection. Le FN l'avait déjà fait en 2014. Le sondage d'Odoxa pour le Figaro publié jeudi dernier, qui montre l'extrême droite à seulement 0,5% de La République en marche! ne peut qu'attiser ses espoirs.