Première place assurée, grand écart promis avec le score des macronistes, et l'espoir de convaincre un électeur sur trois: à une semaine des européennes, le Rassemblement national de Jordan Bardella et Marine Le Pen s'apprête à dominer le paysage politique, sans échapper au vertige. "Quand vous menez 3 à 0 à dix minutes de la fin du match, vous ne faites rien et vous contentez de faire tourner le ballon": dans les travées du parti à la flamme, un député résume l'état d'esprit d'une campagne euphorique qui consacre une ascension débarrassée de tout plafond de verre, laissant entrevoir le meilleur score de l'histoire du parti à une élection nationale, hors seconds tours.
Elle doit se conclure dimanche par un meeting au Dôme de Paris - 5.500 personnes attendues, "une démonstration de force". Vendredi, la tête de liste Jordan Bardella se rend dans le Var, là où Eric Zemmour a échoué à se faire élire député il y a deux ans, puis, samedi, dans le Vaucluse, dans l'ancienne circonscription de Marion Maréchal: "appel au vote utile", ont expliqué ses lieutenants, même si certains lepénistes s'inquiètent que cette provocation faite à Reconquête!, à la peine dans les sondages, nourrisse le procès en "arrogance" du patron du RN.
Certes, le souvenir des élections régionales de 2021 - aucune victoire, au mépris des prévisions sondagières - est régulièrement convoqué pour mettre en garde contre tout triomphalisme anticipé. Il n'empêche: avec environ 33% d'intentions de vote, le RN entend tenir sa revanche sur la macronie, laquelle est créditée dans les sondages de moitié moins de bulletins.
Stratégie de la cravate
Qu'elles semblent lointaines, ces heures de doute de l'automne 2021, lorsqu'Eric Zemmour menaçait de récupérer l'édifice de l'extrême droite française, bâti pendant plus de cinquante ans par la famille Le Pen. Même les qualifications au second tour en 2017 et 2022 n'avaient pas empêché les questionnements, Marine Le Pen essuyant les pires scores - après son père en 2002 - d'une finale de course à l'Elysée. "Macron va avoir sa majorité", désespérait encore Jordan Bardella, à la veille des législatives de juin 2022. Heureuse surprise, non seulement elle ne fut que relative, mais le scrutin a offert 88 députés au RN, devenu premier groupe d'opposition.
"Ces élus nous ont apporté ce qu'il nous manquait: donner à voir une équipe", expliquait alors Marine Le Pen, à qui l'envie de briguer une quatrième fois la magistrature suprême, si tant est qu'elle ait un temps été dissipée, s'est plus que jamais imposée. A l'Assemblée nationale, deux stratégies: celle de la "cravate", symbole de la "normalisation", et celle du "lutteur huilé", "sur qui il n'y a pas de prise", décrypte un hiérarque. Face au bruit et à la fureur de la Nupes, le RN a gagné ses galons d'opposition respectable. Il a joué l'ouverture en votant les motions de censure déposées par la gauche pendant la réforme des retraites, tout en votant avec la majorité la loi immigration.
"Maintenir l'envie"
Deux ans après, le RN new look s'apprête à récolter les fruits de sa stratégie lors d'un scrutin qu'il est parvenu à faire apparaître comme une élection de mi-mandat, pour ou contre Emmanuel Macron. Usure du pouvoir macroniste, faiblesse des autres partis, campagne de Jordan Bardella: "nous avons un alignement des planètes", reconnaît un stratège.
Le débat Bardella-Attal, au terme duquel le Premier ministre a semblé s'imposer, mais qui a finalement profité au premier? "En envoyant le chef du gouvernement, et non la tête de liste, ils ont donné l'impression de sortir les rames; ça ne donne pas envie de monter dans leur bateau", analyse un député RN. "Avec la macronie, on a intérêt à dualiser", assure un autre parlementaire du parti à la flamme. "Mais de leur côté, je n'en suis pas sûr: ils n'ont pas de candidat pour 2027"...
Le RN pourrait en avoir deux. En tout cas à en croire les innombrables militants qui se pressent aux meetings de Jordan Bardella pour réclamer qu'il se présente à l'Elysée dans trois ans - hypothèse fermement balayée par l'intéressé et son aînée, qui lui a par ailleurs promis Matignon. D'ici là, il va falloir gérer l'attente et "maintenir l'envie", pointe un ponte lepéniste.