Elle a remis une pièce dans la machine. Quatre jours après la publication d'une tribune au Monde dans laquelle, avec une vingtaine d'autres responsables politiques, elle administrait une volée de bois vert à la politique gouvernementale, Martine Aubry a annoncé au JDD qu'elle et ses proches entendaient "sortir de la direction du PS". Une décision confirmée, lundi matin, par François Lamy.
Le député de l'Essonne, fidèle de la maire de Lille, a ainsi expliqué que "quatre ou cinq secrétaires nationaux quitteront la direction" du parti. Outre lui, Jean-Marc Germain, député des Hauts-de-Seine, Christian Assaf, député de l'Hérault, et Gilles Pargneaux, député européen, devraient faire leurs cartons.
- Se mettre en accord avec ses valeurs
Pour François Lamy, ce départ est "la conséquence politique logique d'un désaccord" avec la ligne du PS incarnée par le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis. Lors du dernier congrès du parti, en juin dernier à Poitiers, Martine Aubry avait rallié la motion de ce dernier, après avoir obtenu plusieurs ajustements de sa part sur le texte final et des gages du gouvernement. "Nous avons fait des propositions sur les questions économiques, sociales. Et on a dû constater quelques mois après que ces propositions n'avaient pas été mises en œuvre", a expliqué François Lamy.
Le politologue Olivier Duhamel, lui, voit également dans l'attitude de Martine Aubry l'expression de ses opinions. "A la différence d'un très grand nombre de responsables politiques, c'est quelqu'un qui a beaucoup de convictions et peu de stratégie politique", estime-t-il. "Elle a toujours été partagée entre l'envie de se lancer et un désir présidentialiste faible." La maire de Lille répète d'ailleurs à qui veut l'entendre que si primaire il y a en 2017, elle n'y participera pas. Et que ni elle ni ses proches ne sont motivés par le pouvoir. "Ceux de mes amis qui ont été sollicités ont refusé d'entrer au gouvernement. On ne veut aucun poste. On veut simplement que ce pour quoi on s'est battus toute notre vie soit préservé", expliquait-elle dans le JDD.
- Peser dans les débats…
Le député européen Gilles Pargneaux a justifié cette prise de distance par la mise sur la touche de la direction du Parti socialiste, dont l'avis n'est pas pris en compte par le gouvernement. "Le PS ne sert à rien", a-t-il asséné dans La Voix du Nord dimanche. "On a l'impression que tout se décide dans un cénacle autour du Premier ministre. Dès lors, pourquoi rester à la direction ?" François Lamy, lui, se félicite de pouvoir, avec ce départ, "continuer à s'exprimer librement". De fait, les aubrystes pourront potentiellement mettre en péril la majorité de Jean-Christophe Cambadélis au sein du PS s'ils décident, lors d'un vote au Bureau National, d'accorder leurs violons avec d'autres membres opposés à la ligne du premier secrétaire.
La sortie de Martine Aubry est donc un coup dur porté au numéro un du Parti socialiste. "Jean-Christophe Cambadélis va avoir du mal à rester au centre, lui qui se veut pourtant, comme François Hollande avant lui, l'homme de la synthèse", analyse Gérard Grunberg, politologue au centre d'études européennes de Sciences Po. Pour le politologue Olivier Duhamel, le PS est habitué aux crises de ce genre. "Il a toujours été traversé par des lignes opposées", rappelle-t-il. En outre, Martine Aubry ne semble pas (encore) avoir créé d'opposition cohérente au sein du PS. "L'ensemble de ceux qui contestent Manuel Valls ne présentent pas une homogénéité politique forte. Ils ne s'accordent que sur les désaccords", analyse le politologue. "Martine Aubry elle-même se distingue des frondeurs classiques."
- …et reprendre le contrôle du PS ?
Pour Gaëtan Gorce, sénateur PS de la Nièvre, l'objectif de la maire de Lille est pourtant bel et bien de reprendre la main au PS. Dans un billet publié lundi sur son blog, l'élu soupçonne Martine Aubry de parier sur la défaite des socialistes en 2017. "En refusant de se déclarer candidate à la primaire, elle nous dévoile sa véritable cible (le Premier ministre) et le véritable enjeu de son offensive : le contrôle du PS au lendemain d'une présidentielle qu'elle et ses amis jugent d'ores et déjà perdue", écrit-il. La maire de Lille pourrait-elle reprendre la main sur Solferino ? C'est ce que semble espérer Gilles Pargneaux qui, dans La Voix du Nord, considère qu'elle incarne "le point central" au sein du PS.
- Conserver son aura au niveau local
Si Martine Aubry n'a pas (ou plus) d'ambition au niveau national, son positionnement ferme face à la ligne gouvernementale pourrait néanmoins lui permettre d'engranger des points au niveau local. Toujours prompte à défendre son fief du Nord, elle s'était élevée contre la réforme territoriale, et notamment la fusion du Nord-Pas-de-Calais avec la Picardie, qualifiée d'"aberration économique et sociale". Mais avait aussi fustigé l'idée d'une fusion, soutenue par Manuel Valls, des listes PS et Les Républicains pour faire barrage au Front national lors des dernières élections régionales. Ce scrutin, par ailleurs largement nationalisé dans les débats qui l'ont précédé, a vu les socialistes obligés de retirer leur liste au second tour pour empêcher la victoire de l'extrême droite. En se désolidarisant de la direction du PS et de l'exécutif, Martine Aubry pourrait asseoir sa position dans sa région.
Difficile, dans ce contexte, d'y voir clair dans la stratégie de Martine Aubry, capable par ailleurs de changer d'avis en 24 heures sur certains sujets, comme la tenue d'une primaire à gauche. Pour Gérard Grunberg, ce flou s'explique aisément. "C'est une femme imprévisible, qui ne sait pas elle-même ce qu'elle veut."