"Je suis sous le choc, je défends des institutions bourgeoises et parlementaires de la Ve République alors que je suis trotskiste !" Cette phrase, lancée ironiquement par la députée insoumise Danièle Obono la semaine dernière, illustre bien le retour en grâce du Sénat à la faveur de l'affaire Benalla. Ces dernières semaines en effet, la Chambre haute du Parlement n'a cessé de recevoir des compliments de la part des députés, notamment de l'opposition, qui ont salué la bonne conduite des auditions de la commission d'enquête sénatoriale. Une revanche pour le Palais du Luxembourg, plus habitué à entendre qu'il ne sert à rien sinon ralentir les processus législatifs et permettre à 548 notables de province de vivre plus que confortablement.
Un travail de la commission d'enquête reconnu. Si le Sénat se rachète ainsi une bonne réputation, c'est donc grâce à sa commission d'enquête, présidée par l'élu LR de la Manche, Philippe Bas. Celle-ci a procédé à nombre d'auditions en deux semaines, convoquant notamment Alexis Kohler, secrétaire général de l'Élysée, ou Christophe Castaner, délégué général de La République en marche. Deux hommes que la commission d'enquête de l'Assemblée, elle, a refusé d'auditionner. Il n'en fallait pas plus pour que le travail d'investigation de la Chambre haute soit unanimement reconnu, de même que son impartialité.
" Pendant ce temps, le Sénat, lui, parce qu'il n'est pas géré par des macronistes mais des sénateurs libres et indépendants, poursuit ses auditions. "
Des sénateurs "puissants de fou". L'attitude et les questions des sénateurs a parachevé l'entreprise de réhabilitation. Philippe Bas, capable, avec sa petite voix aussi calme que précise, ses questions ciselées et ses remarques acérées, de faire l'exégèse du placement d'une virgule dans un post Facebook de Christophe Castaner comme de donner une leçon impromptue de droit constitutionnel, a été encensé par tous, partout. Avec ses collègues Jean-Pierre Sueur (PS) et François Grosdidier (LR), il a même eu les honneurs du forum 18-25 de jeuxvideo.com, qui s'est passionné pour les échanges à couteaux tirés des auditions et a créé des "stickers" avec les visages des sénateurs, "puissants de fou", selon les internautes.
Sénat 1 - 0 Assemblée. Cette gloire inattendue vient également de la comparaison, avantageuse pour le Sénat, avec l'Assemblée nationale. La commission d'enquête a mené des travaux nettement moins organisés, sa présidente, la députée LREM Yaël Braun-Pivet, étant taxée de partialité (et même victime de harcèlement sexiste et violent). Ulcérée par une gestion des auditions qu'elle contestait, l'opposition a suspendu sa participation. "Pendant ce temps, le Sénat, lui, parce qu'il n'est pas géré par des macronistes mais des sénateurs libres et indépendants, poursuit ses auditions", a rappelé mercredi matin Guillaume Larrivé, corapporteur de la commission d'enquête de l'Assemblée. Le spectacle des échanges houleux dans l'hémicycle du Palais Bourbon, mardi, lors de l'examen de deux motions de censure, a définitivement consacré la victoire, au moins en termes d'images, de sénateurs calmes et besogneux sur des députés nerveux et politiciens.
Revanche. Pour le Sénat, ce retour en grâce tombe à point nommé. Le quinquennat Macron n'augurait rien de bon pour une Chambre haute sous le feu des critiques depuis bien longtemps. Et la réforme constitutionnelle avait hérissé des sénateurs qui se sont sentis menacés par un certain nombre de mesures, dont la réduction de leur nombre et la réforme des commissions mixtes paritaires, ces instances chargées de trouver un compromis lorsqu'Assemblée et Sénat ne sont pas d'accord sur un texte. Jugé inutile, car il n'a de toute façon pas le dernier mot de la navette législative, critiqué pour le train de vie de ses membres, le Sénat incarnait bien cet "ancien monde" qui n'a plus sa place avec Emmanuel Macron. L'affaire Benalla lui a permis de faire de la résistance. "Inespéré", souffle un député dans Le Monde.