"Le responsable c'est moi". Silencieux depuis le début de l'affaire Benalla, Emmanuel Macron a finalement pris la parole six jours après les premières révélations du Monde, mardi soir. Le chef de l'État a choisi la Maison de l'Amérique latine, à Paris, devant des élus LREM et plusieurs membres du gouvernement réunis pour un pot de fin de session parlementaire. "On ne peut pas être chef par beau temps et se vouloir soustraire lorsque le temps est difficile", a notamment affirmé le président de la République, dont les propos ont été rapportés et filmés par certains collaborateurs, puis postés sur les réseaux sociaux. Une stratégie rondement réfléchie, analyse pour Europe 1 Florian Silnicki, spécialiste en communication politique et fondateur de LaFrenchCom'.
Comment expliquer le choix d'Emmanuel Macron de s'exprimer à ce moment-là ?
Cette séquence s'inscrit dans une série. Il y a d'abord eu la prise de parole maladroite du porte-parole Bruno Roger-Petit, qui a aggravé la crise juste après les premières révélations. Puis on a tenté d'envoyer Stéphane Travert (le ministre de l'Agriculture, ndlr) donner des explications, pour son côté homme du terroir, bon père de famille. Mais cela n'a absolument pas fonctionné : il n'était pas assez identifié, incapable d'incarner la parole du président. Ensuite, une première rupture est intervenue avec les "fuites" venant des proches du chef de l'Etat, après une réunion ce week-end, qualifiant les faits d''inacceptables'. Mais l'affaire continuait d'être feuilletonnée par les médias et faisait même renaître de leurs cendres les oppositions politiques. L'Elysée a alors cherché à miser sur une autre séquence, en vidéo, devant les troupes d'Emmanuel Macron, en chef de clan. C'est une sorte de riposte graduée.
Pourquoi ne pas avoir opté pour une prise de parole publique traditionnelle, sur un plateau de télévision par exemple ?
Il y a plusieurs explications. D'abord, Emmanuel Macron pense qu'il a encore un potentiel jupitérien, une forme de hauteur qui l'a servi jusque-là. Le problème, c'est que dans ce genre de crise, c'est une attitude qui nourrit forcément les soupçons… Il a donc cherché une solution pour s'exprimer sans en faire un événement politique, sans créer de mise en scène qui risquerait d'aggraver la situation. Depuis le début du quinquennat, c'est une technique que l'on a déjà observée, par exemple avec la fameuse vidéo du "pognon de dingue" (filmée au smartphone dans un bureau de l'Elysée, ndlr) publiée sur les réseaux sociaux. La méthode consiste à "coulissiser", à diffuser la parole du président tout en le protégeant : le discours a l'air naturel, presque volé. C'est un moyen de montrer l'authenticité du propos, et donc de renforcer son impact.
Deux autres raisons peuvent pousser Emmanuel Macron à ne pas parler publiquement. La première, c'est qu'il sait qu'Alexandre Benalla va prendre la parole dans les prochains jours, comme l'a annoncé son avocat. Mais surtout, il sait que de nouvelles facettes de l'histoire sont dévoilées chaque jour dans les médias depuis une semaine. Prendre la parole publiquement, c'est prendre le risque d'être affaibli par un nouvel élément contredisant immédiatement ses propos.
Sur le fond, l'exercice de communication est-il réussi ?
On peut noter plusieurs éléments intéressants dans les éléments de langage employés par Emmanuel Macron. Il y a la "République des fusibles", une formule forte, qui marque les esprits et le renforce dans son rôle de chef. En revanche, l'expression "qu'ils viennent me chercher" est maladroite : elle forge une sorte de posture de "bad boy", prêt à en découdre. On peut aussi y voir une contradiction avec l'immunité du Président de la république, qui est prévue par la Constitution : juridiquement, on ne peut pas venir le chercher.
Quant à ses propos sur Alexandre Benalla ("ce qui s'est passé le 1er mai a été pour moi une trahison", ndlr), on voit que les communicants qui entourent Emmanuel Macron ont tenu à ne pas reproduire la stratégie de François Hollande. Au moment de l'affaire Cahuzac, l'ancien président avait seulement évoqué sa "colère" et sa "stupéfaction". Emmanuel Macron a lui aussi choisi des mots forts, mais il a également eu à cœur d'endosser pleinement sa responsabilité. Il a voulu dire : 'je suis le chef, je suis en première ligne'. Ça, François Hollande ne l'avait pas fait.
Du reste, on sait que le registre de la trahison peut être efficace car il mise sur l'émotion : chaque Français a pu connaître ce sentiment et mesure ce que cela implique. Mais la posture est, à mon sens, insuffisante pour sortir d'une telle crise. Car elle contrarie la personnalité politique même d'Emmanuel Macron, telle qu'elle est présentée sur l'échiquier politique : il a été élu contre les affaires, et il y plonge soudainement.