Les sous-entendus graveleux, les remarques déplacées, voire humiliantes, elles n’en peuvent plus. Un collectif de collaboratrices parlementaires lance ChairCollaboratrice.com, un site internet pour compiler anonymement les témoignages. Ici, on ne parle pas d'affaires graves de harcèlement, mais des témoignages tous plus affligeants de sexisme ordinaire.
L’affaire Baupin apporte… de nouvelles expressions. On aurait pu penser que l'affaire Baupin provoque une prise de conscience. Au contraire, elle a même créé de nouvelles expressions : "Calme toi, ou j'appelle Baupin !" "Tu vas voir, je vais te faire une Baupin", "Je vais te baupiner", etc. Pire, ces allusions lourdingues ont lieu au grand jour mais n'appellent le plus souvent aucune réaction des témoins.
Des remarques déplacées et aucune réaction. Moment de solitude pour une collaboratrice de parlementaire. Deux députés se congratulent, devant elle. "Dis donc, elle est mignonne ta collab’, tu t'embêtes pas toi !", lance l’un des deux hommes. Une autre femme qui travaille dans les couloirs de l’Assemblée raconte les regards déplacés. "Je me suis sentie particulièrement mal un jour", se souvient-elle. "J’étais dans l’ascenseur. Un député entre, me regarde longuement de bas en haut pendant presque une minute avant de me dire : ‘mais vous avez la forme vous’. Je ne vous cache pas qu’on a envie d’aller prendre une douche après".
Et les comportements méprisants se multiplient. Alors que deux collaboratrices parlementaires échangent sur un amendement, un ancien ministre s'amuse : "alors les petites garces, vous nous faites un spectacle de pom-pom girls ?" "On nous rappelle sans arrêt que nous ne sommes pas légitimes", témoignent ces femmes pourtant diplômées de grandes écoles. Sans compter les allusions gênantes du type "tu as dû coucher pour en arriver là..."
Pourquoi ne rien dire ? Mais pourquoi ne parlent-elles pas ? Souvent parce qu'elles ont peur. Peur de perdre leur job surtout. Elles sont jeunes et leur employeur… c'est leur député. Elles n’ont pas envie de ruiner leur carrière. "On va considérer qu’une femme politique, à partir du moment où elle raconte les moments où elle a pu être harcelée, c’est qu’elle est trop vulnérable", confie une jeune femme. "On va voir sa faiblesse si elle parle".
Une omerta généralisée. En plus, elles n'ont pas vraiment de protection. A l'Assemblée nationale, il n'y a pas de délégué du personnel à qui s'adresser, comme dans une entreprise classique. En revanche, il existe bien deux syndicats. Jean-François Cassant, qui a longtemps été le Secrétaire général de l'union syndicale des collaborateurs parlementaires, dénonce une omerta généralisée. "Le président de l’Assemblée nationale a une responsabilité. Les présidents de groupe, eux aussi, connaissent les députés qui se comportent mal. C’est la loi du silence. Ils se sentent en toute liberté pour agir et continuer à agir", regrette-t-il.
Peu de suites judiciaires à ce sexisme ordinaire. Il y a quand même eu une avancée depuis 2013. Le déontologue de l'Assemblée peut être saisi dorénavant. L'une de ses collaboratrices a été nommée référente et peut recueillir des témoignages. Mais malheureusement, le dispositif est encore très peu connu et ces affaires donnent trop rarement lieu à des suites disciplinaires ou judiciaires.
Mais au fait, qu’en pensent les députés ? "Ils ne voient jamais où est le problème...", regrette amèrement une collaboratrice. Effectivement, quand nous avons appelé des élus, nous avons été confrontés à ce genre de réactions : "il ne faut pas généraliser", "c'est souvent soft" ou encore "on ne va quand même pas s'interdire de draguer !".