Le vote de la commission des Lois du Sénat le laissait prévoir, les débats qui ont commencé mercredi au Palais du Luxembourg l'ont confirmé. Les sénateurs, majoritairement de droite, sont bien décidés à modifier la réforme constitutionnelle du gouvernement telle que celle-ci a été adoptée par l'Assemblée nationale, le 10 février dernier. Or, il est absolument nécessaire que les deux chambres s'accordent sur un texte commun pour qu'il puisse ensuite être validé par les 3/5e du Parlement réuni en Congrès. La révision constitutionnelle semble donc vouée à l'échec.
La binationalité au cœur des débats. Prenant la parole devant le Sénat mercredi, Manuel Valls a "profondément regretté" que la Chambre haute prenne le "contre-pied" de l'Assemblée sur l'article 2 de la réforme constitutionnelle, qui concerne la déchéance de nationalité. De fait, alors que l'Assemblée nationale avait supprimé toute mention de la binationalité au nom de l'égalité, le Sénat veut absolument que la déchéance ne s'applique qu'aux binationaux, afin de ne pas créer d'apatrides. Pour le sénateur LR Philippe Bas, président de la commission des Lois, la formule du Sénat est "plus proche du pacte du 16 novembre et des propositions [que le] président de la République" avait faites au lendemain des attentats de Paris.
"Votre proposition ne sera jamais adoptée." Pour le moment, il ne semble pas y avoir d'issue. "Votre proposition ne sera jamais adoptée par une majorité de députés", a lancé le Premier ministre aux sénateurs. Le blocage est tel que certains ministres, sous couvert d'anonymat, plaident en faveur de l'abandon de ce maudit article 2. "C'est une épine dans le pied de la gauche", confie l'un d'entre eux. Dans ce cas, cela reviendrait à ne laisser dans la réforme constitutionnelle que l’article 1, qui porte sur l’état d’urgence. Mais là encore, cette solution ne fait pas du tout consensus. En effet, le Sénat compte également amender ce dispositif, l'encadrant plus sévèrement et le soumettant à un contrôle du Conseil constitutionnel.
Une marge de manœuvre minime. "Il n'y aura pas de Congrès", lançait mercredi un élu socialiste à la sortie des débats. "On ne va pas y aller avec des trognons de pomme." A ce stade, l'Elysée joue toujours la carte de la fermeté. Pas question de reculer. La ligne de défense est claire : rejeter la faute de l'échec du texte sur l'opposition. "La droite portera la responsabilité. Les socialistes, eux, ont fait un effort." Pour sortir de l'impasse, Didier Guillaume, chef de file des sénateurs PS, a "solennellement" demandé au président du Sénat, Gérard Larcher, "de bien vouloir organiser une réunion avec les présidents de groupe qui veulent voir la réforme aboutir". Il reste encore une journée de discussion au Sénat jeudi, et une marge minime de négociations, pour éviter que le texte ne soit enterré.