"Cet épisode éruptif et confus me semble être l'occasion de revenir sur le fonctionnement de notre Etat de droit, ainsi que sur [un principe fondamental] : la séparation des pouvoirs. Ce principe interdit au Parlement d'empiéter sur le domaine judiciaire." C'est en ces termes que, dans une tribune au Monde datée de samedi, la ministre de la Justice Nicole Belloubet fustige l'audition, par la commission d'enquête du Sénat, d'Alexandre Benalla.
Une "immixtion" du Parlement. L'ancien collaborateur de l'Élysée, accusé d'avoir molesté des manifestants le 1er mai, est en effet poursuivi pour ces faits en justice. Mais la commission d'enquête sénatoriale constituée pour faire la lumière sur les faits l'a convoqué pour une audition mercredi 19 septembre. Se pose donc, selon la garde des Sceaux, un véritable problème. "Une immixtion du pouvoir exécutif dans une procédure judiciaire serait choquante. De la part du Parlement, elle ne le serait pas moins. Ces dispositions protègent aussi les justiciables, accusés ou victimes, en écartant tout risque de procès conduit par une instance politique, devant laquelle n'existe aucune des garanties procédurales essentielles prévues dans notre droit pénal."
Le Sénat se défend. Ce n'est pas la première fois que Nicolas Belloubet fait part de son scepticisme vis-à-vis de la commission d'enquête du Sénat. Mercredi, elle avait ainsi assuré que personne n'était "dupe" de "l'instrumentalisation" politique de l'affaire Benalla par le Palais du Luxembourg. Ce qui lui avait déjà valu une cinglante réponse du président de la commission d'enquête, le sénateur LR Philippe Bas : "J'ignorais que [madame Belloubet] était le conseil juridique de monsieur Benalla." Dans un communiqué, et par le biais de nombreuses déclarations médiatiques, le Sénat a assuré qu'il respecterait la séparation des pouvoirs en n'interrogeant pas Alexandre Benalla sur les faits faisant l'objet de poursuites judiciaires, mais bien pour avoir des éléments de contexte, notamment ses missions exactes à l'Élysée.
En outre, Nicole Belloubet rappelle que "le président de la République (...) - et tout ce qui touche à la fonction présidentielle - , ne saurait faire l'objet d'une commission d'enquête". "Cela reviendrait dans les faits à rendre le chef de l'Etat (...) responsable devant le Parlement. La Constitution l'interdit formellement. "Une mise en garde destinée à la commission d'enquête sénatoriale que le chef du parti présidentiel Christophe Castaner avait interpellée sur le même registre vendredi. "Si certains pensent qu'ils peuvent s'arroger un pouvoir de destitution du président de la République, ils sont eux-mêmes des menaces pour la République", avait-il dit. Des propos qualifiés d'"extravagants" par l'entourage du président du Sénat.