Candidature de Macron : «Cette lettre est aussi révélatrice par ce qu’elle ne dit pas»

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Nicolas Beytout , modifié à
Pour notre éditorialiste Nicolas Beytout, la candidature d'Emmanuel Macron est symptomatique de la stratégie du saute-mouton mise en place par le président sortant. Mais tenter d'enjamber l'élection met en relief le silence d'Emmanuel Macron sur certains points.
EDITO

Dans la matinale d'Europe 1, Nicolas Beytout décrypte le fait politique du jour. Vendredi, il revient sur la déclaration de candidature d'Emmanuel Macron. La fin d'un faux suspense, mais également l'application de la stratégie du saute-mouton.

La stratégie du saute-mouton

"Avec une lettre, une simple lettre assez banale, à la fois dans son style et dans son contenu, Emmanuel Macron est candidat. Une déclaration de candidature sans esbroufe, sans meeting de lancement tonitruant, sans enthousiasme militant, assez loin en tout cas de ce qui avait été initialement imaginé. Est-ce qu’il pouvait faire autrement, dans le contexte de guerre en Ukraine ? Évidemment non. Mais c’est le Président qui s’est mis tout seul dans cette situation à force de repousser sa déclaration pour trouver la meilleure fenêtre possible.

Le résultat, c’est une série de généralités, des objectifs décrits à grands traits avec quelques piques ici ou là envers ceux qui veulent le repli de la France, mais rien de bien saillant. Un mot revient très souvent, dans cette lettre : "continuer", ou son synonyme "poursuivre". Et il est très symptomatique de la stratégie que va essayer de suivre Emmanuel Macron. J’appelle ça la stratégie du saute-mouton.

Une stratégie pour effacer les obstacles, faire comme s'ils n’existaient pas, de façon à installer un continuum entre aujourd’hui et demain. On efface la déclaration de candidature en la banalisant avec une lettre sans éclat, puisque tout le monde savait qu’il était candidat et que les Français ont la tête ailleurs. Et on gomme autant que possible la campagne électorale, puisque la guerre impose un minimum d’unité nationale.

Emmanuel Macron l’écrit d’ailleurs dans sa lettre : "Je ne pourrai pas mener campagne comme je l’aurais souhaité, en raison du contexte". Il l’avait déjà dit assez clairement, mercredi soir, dans son adresse aux Français : "Cette campagne permettra un débat démocratique important pour la Nation… mais qui ne nous empêchera pas de nous réunir sur l’essentiel". Autrement dit, ok pour une campagne, mais pas trop. Il n’y aura pas de débat télévisé avec ses adversaires du premier tour, par exemple. Avantage, on évite le focus sur le bilan du Président. On sait que c’est le point faible de tout sortant, et les oppositions de droite comme de gauche piaffent d’impatience de pouvoir opposer à Emmanuel Macron la réalité de ses résultats."

Enjamber l'élection

"On essaye même d'enjamber l'élection, et ce n’est pas la première fois que le chef de l’État essaye de passer par-dessus une échéance électorale. Son entourage avait théorisé cette sorte de saute-mouton démocratique à l’occasion des municipales, puis des régionales. Mais dans les deux cas, la macronie savait que ces élections intermédiaires ne pouvaient pas lui être favorables (et en effet, La République en Marche a complètement raté ces deux rendez-vous électoraux). Il fallait donc essayer de faire comme s'ils n’existaient pas, ou si peu. Cette fois, c’est l’inverse, il s’agit d’enjamber la présidentielle alors qu’Emmanuel Macron est à ce jour le mieux placé pour l’emporter.

Cela fait en réalité des mois que cette stratégie est enclenchée. Depuis l’automne, on a vu se déployer des calendriers de réformes portant sur plusieurs années, sans considération aucune pour l’échéance présidentielle. Le plan Innovation Santé, le plan Hôpitaux et le Ségur de la Santé, le Beauvau de la sécurité et la promesse de doubler "dans les 10 ans à venir" le nombre des policiers sur le terrain. J’ajoute le plan France 2030, qui est né à la sortie du Covid avec l’idée de reconstruire la souveraineté et l’autonomie de notre économie et qui enjambe même le prochain quinquennat.

Je n’oublie pas le dossier économie de la Mer à l’horizon 2027, ni bien entendu le revirement sur le nucléaire et la promesse de construire sur plusieurs décennies jusqu’à 14 nouveaux réacteurs. On y met une pincée d’école, sujet sur lequel Emmanuel Macron a déjà expliqué qu’il voulait accélérer sur l’autonomie des établissements, et on obtient plus qu’une ébauche de programme qui fait le pont entre le quinquennat actuel et le prochain.

Je dirais même que cette lettre est aussi révélatrice par ce qu’elle ne dit pas. Il y a par exemple un quasi-silence sur un sujet pourtant très présent dans les préoccupations des Français : le volet régalien, la sécurité et l’immigration, un des aspects les plus contestés de son quinquennat, et sur lequel il reste très elliptique. Ce silence est un signe que ses opposants ne manqueront certainement pas d’exploiter."