L'image d'un général de Gaulle au-dessus de la vie politique ordinaire, débarrassé des contingences partisanes, sondagières et médiatiques, a longtemps vécu. Sous la plume de Raphaëlle Bacqué, autrice de De Gaulle Président, dix ans d’archives inédites de l'Élysée (éditions Flammarion), elle disparaît définitivement : au micro d'Europe 1, lundi, la grand reporter au Monde dépeint un chef de l'État extrêmement préoccupé par son image, au point d'intervenir directement sur différents leviers de communication.
Les yeux rivés sur sa cote de popularité
Chez de Gaulle, disparu il y a exactement 50 ans, il y a d'abord ce souci constant de la popularité auprès des Français. "Charles de Gaulle fait très attention à cela", raconte Raphaëlle Bacqué à propos de cette époque "où les grands instituts de sondage commencent à sonder l'opinion publique de façon beaucoup plus précise et scientifique". Celui qui est revenu au pouvoir en 1958 "n'est pas du tout au-dessus de cela, il regardait très régulièrement sa cote de popularité". Celle-ci restera à des niveaux très élevés pour les standards de la Ve République, descendant une seule fois, en 1963, sous la barre des 50%.
Pour s'assurer du soutien de l'opinion publique, Charles de Gaulle et ses équipes scrutent les moindres soubresauts de la vie médiatique française. "Il regarde tous les journaux télévisés, mais aussi les émissions de variétés. Il fait très attention à la façon dont on parle de façon plus légère dans ces émissions-là", assure Raphaëlle Bacqué. "Il est enchanté de voir que sa conférence de presse est aussi dans les meilleures audiences."
Interventionnisme médiatique
Plus encore, ils interviennent pour travailler l'image du chef de l'État : "Ce n'est pas un homme très libéral sur le plan médiatique, il surveille, censure et recompose toute la façon dont on va le présenter", souligne Raphaëlle Bacqué. Il ira jusqu'à corriger les questions que lui poseront les journalistes lors des entretiens télévisés.
Dans son ouvrage, la grand reporter explique que la présidence est très attentive au rôle de l'ORTF, organe médiatique public, au traitement de ses interventions et de ses déplacements en province. Le ministre de l'Information de 1962 à 1966, Alain Peyrefitte, assure même qu'"il va falloir qu'on surveille de plus près le montage des sujets consacrés aux déplacements du général de Gaulle".
De Gaulle, "grand acteur"
Et dans cet objectif de construire la meilleure image possible dans les médias et dans ses déplacements, le chef de l'État a une arme efficace : son épouse, Yvonne de Gaulle. "Elle surveille, elle s'occupe", affirme Raphaëlle Bacqué. "Yvonne de Gaulle, c'est une femme d'un genre un peu dépassé. Elle n'intervient pas dans les décisions politiques mais, en revanche, elle intervient de façon très importante dans tout ce qui concourt à son image. Pour de Gaulle, c'est quand même essentiel. Elle ne s'occupe donc pas que de broderie et de tricot, comme la légende l'a laissé entendre."
Dans ce but de conserver le soutien les Français, Charles de Gaulle va mobiliser tous ses atouts : "Il est un grand acteur, c'est aussi un homme qui regardait beaucoup le cinéma", rappelle la journaliste. "Il était passionné par la façon dont jouaient les grands acteurs de son époque, comme Michel Simon ou Louis Jouvet. Et il a bien compris que lui-même, avec son allure un peu démodée, ce phrasé si particulier, il est une bête de scène. De fait, il va vraiment l'utiliser pour séduire jusqu'au bout et pour faire passer sa politique."