"Triomphe", "OPA", "coup de maître"… La presse est dithyrambique, les partisans d’En Marche! satisfaits : après le premier tour des législatives, dimanche, les projections de la future Assemblée nationale font état de plus de 400 députés pour Emmanuel Macron. Une majorité confortable pour voter les lois du gouvernement, mais une source non négligeable de risques, parmi lesquels l’inexpérience des nouveaux élus et leur possible manque de discipline de parti.
- Avec autant de députés, la fronde en marche ?
Les projections sont quasi-unanimes : l’Assemblée nationale devrait être prise d’assaut par au moins 400 députés dès le 18 juin. "Sur le long terme, l’hétérogénéité des profils, sous l’effet d’éventuelles déceptions, pourrait favoriser les divisions", analyse Yves-Marie Cann. Des profils différents, très variés, qui pourraient ne pas tous se sentir engagés par la discipline de parti. "Plus une majorité est large, plus les membres de cette majorité peuvent considérer que leur fidélité n'a pas besoin d'être absolue. Parce que précisément, le sort du gouvernement et de ses textes ne dépendra pas de leur défection", détaillait récemment sur Europe1.fr Julie Benetti, professeure de droit public à l’Université Paris 1. D’autant que le MoDem, pour l’instant allié de La République en marche! mais autonome, est en tête dans 40 circonscriptions. Si les relations devaient se tendre entre les deux partis au cours du quinquennat, ce serait autant de députés qui pourraient entrer dans l’opposition.
- Les petits nouveaux de l’Assemblée et leur manque d’expérience parlementaire
Certains diront que la fraîcheur des néo-députés va dépoussiérer les pratiques de l’institution. "Vu les tendances de dimanche soir, il y aura un profond renouvellement de l’Assemblée nationale. L’arrivée d’un grand nombre de non-sortants qui n’ont pas d’expérience significative va nécessiter une phase d’apprentissage, comme après chaque élection législative. Mais cette fois-ci, l’ampleur est inédite", explique Yves-Marie Cann, directeur des Etudes politiques de l’institut Elabe, auprès d’Europe1.fr. Un rattrapage express s’impose donc pour les nouveaux-venus, peu au fait des navettes parlementaires, de l’écriture des amendements ou encore du travail en commissions. Ce qui pourrait empêcher l’hémicycle de tourner à plein régime dès le début de la législature.
- Des contre-pouvoirs toujours présents
En attendant de transformer l’essai lors de prochaines échéances électorales, La République en marche! n’a pas pour autant "les pleins pouvoirs". "On n’est pas non plus dans la configuration de 2012, quand le Parti socialiste détenait la majorité des grandes villes, des régions, des conseils généraux, l’Assemblée nationale et le Sénat", rappelle Yves-Marie Cann. Précisons aussi qu’Emmanuel Macron ne "contrôle" que le gouvernement et l’Assemblée nationale.
- Pas d’opposition à l’Assemblée, mais dans la rue ?
Une centaine de députés pour Les Républicains, une petite trentaine pour un Parti socialiste moribond et ses alliés, moins de 20 pour La France insoumise et pas plus de cinq pour le Front national… Pendant les cinq prochaines années, l’opposition parlementaire ne va pas peser lourd dans les rangs de l’Assemblée nationale. Ce qui n’est pas pour rassurer totalement les cadres du parti présidentiel : "Le risque, c’est que l’opposition n’existe pas à l’Assemblée et qu’elle s’exprime dans la rue". La confidence est signée d’un membre de REM dans Le Monde, lundi. Elle traduit une crainte : avec l’examen prochain des dispositions de la future réforme du code du travail, les syndicats et les organisations hostiles à Emmanuel Macron pourraient retrouver un second souffle. Plus largement, la population pourrait changer d’attitude envers lui. "Il ne faudrait pas que la nouvelle majorité surestime son poids au sein de la population. Il y a pour l’instant un état de bienveillance, de confiance vis-à-vis de cette majorité qui va devoir se gagner en tenant ses promesses de renouvellement des visages et des pratiques", résume Yves-Marie Cann.
- Le risque d’un recul lors des élections intermédiaires
Pour l’instant, Emmanuel Macron réussit son pari de faire exploser le paysage politique en le recomposant autour de sa personne et de son mouvement. Mais qu’en sera-t-il en 2020, lors des prochaines élections européennes, où le score du Front national est traditionnellement fort ? Avant de se représenter, peut-être, en 2022, le président de la République affrontera aussi l’épreuve des régionales, toujours compliquée à gérer pour la majorité en place. Yves-Marie Cann y voit au contraire un atout : "Ils partiront de rien et n’ont rien à perdre." Au niveau local, certaines figures du parti commencent déjà à réfléchir aux municipales, comme Benjamin Griveaux qui pourrait briguer la mairie de Paris en 2020. Des défaites symboliques marqueraient incontestablement un coup d’arrêt pour la dynamique Macron.