"L'Europe n'est pas à la hauteur de son histoire, et notre pays non plus." C'est ainsi qu'Anne Hidalgo a justifié, mardi, la construction prochaine d'un camp de migrants à Paris. La maire de la capitale veut en finir avec les "campements indignes" qui se multiplient depuis plus d'un an, sous des ponts ou des métros aériens, dans des conditions humanitaires et sanitaires déplorables. Elle n'a, par ailleurs, pas caché que cette initiative était menée sans l'aval du gouvernement, disant simplement "espérer que l'État sera partenaire". Le ministère de l'Intérieur, de son côté, a refusé de commenter, préférant attendre d'avoir "pu prendre connaissance des objectifs" du projet.
Hidalgo à l'avant-garde. Si, à Beauvau, on préfère affirmer que la construction de ce camp humanitaire relève de la "libre administration des collectivités locales", il n'empêche qu'Anne Hidalgo semble à l'avant-garde sur la question des migrants. "La mairie donne l'impulsion, il faut que l'État s'empare du sujet", estimait d'ailleurs, mardi, Florent Gueguen, le directeur général de la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (Fnars).
Ce n'est pas la première fois que l'édile parisienne s'affranchit ainsi de l'exécutif socialiste. Sur la déchéance de nationalité, Anne Hidalgo avait eu des mots très durs. À L'Humanité, elle affirmait début janvier être "comme beaucoup de Français dans un état de rage" et ne "plus supporter cette politique nationale". "Tout le monde sait que ça ne sert à rien de l'inscrire dans la Constitution."
Contre la loi El Khomri. Sur les sujets économiques aussi, Anne Hidalgo s'est souvent démarquée du gouvernement, affirmant clairement un positionnement plus à gauche. "Je ne suis pas du tout en accord avec la loi El Khomri", indiquait-elle il y a deux semaines sur Europe 1. Avant cela, la loi Macron, qui permet l'extension du travail du dimanche et définit de nouvelles zones touristiques internationales (ZTI), avait aussi été l'occasion, pour la maire de Paris, de livrer un bras de fer acharné avec Bercy. Dénonçant "un recul démocratique" lors du vote de l'article créant les ZTI, elle avait ensuite, à de nombreuses reprises, exprimé sa colère face à ce qu'elle vivait comme un empiétement sur ses prérogatives de maire.
"Prendre le leadership" à gauche. À quoi joue donc la maire de Paris ? Pour son opposante au Conseil de Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet, annoncer la construction d'un camp humanitaire permet à Anne Hidalgo de "prendre un leadership politique sur une partie de la gauche". "C'est un problème de jeu politique à l'intérieur de la gauche", a-t-elle déclaré mercredi sur France Info, regrettant que la question des réfugiés soit "instrumentalisée". Toujours prompte à taper sur le gouvernement, Valérie Trierweiler a, comme un clin d’œil, salué l'initiative de l'édile sur Twitter avec le hashtag "la gauche est de retour".
Bravo @Anne_Hidalgo qui annonce à Paris la création d'un camp humanitaire aux normes internationales pour les réfugiés #lagaucheestderetour
— Valerie Trierweiler (@valtrier) 31 mai 2016
Les piques toujours plus nombreuses de la maire de Paris à l'égard du pouvoir en place, qui ne sont pas sans rappeler l'attitude des frondeurs ou celle de Martine Aubry, semblent donner raison à Nathalie Kosciusko-Morizet. "L'échéance de 2017 va être difficile pour ma famille politique", confiait ainsi Anne Hidalgo à l'hebdomadaire VSD le 18 avril dernier. "Parce qu'on ne peut pas dire qu'on ait démontré une grande efficacité dans les réalisations et [qu']on a un peu trop tourné le dos aux engagements."
Certains lui disent "d'y aller". De là à voir la protégée de Bertrand Delanoë se positionner pour 2017, il n'y a qu'un pas que certains franchissent allègrement. Des gens "de gauche et d'ailleurs" lui demanderaient "d'y aller", a t-elle indiqué à VSD. Le mois dernier, Marianne lui offrait sa une en se demandant : "Et si c'était elle ?". Mais cette présidentielle à venir n'est pas dans le viseur d'Anne Hidalgo, selon la principale intéressée. L'édile a bâti toute sa campagne municipale sur l'idée que la capitale était "l'alpha et l'oméga de [son] engagement politique", contrairement à une Nathalie Kosciusko-Morizet qui ne faisait pas mystère de ses ambitions nationales. Et tout en prônant, dans Marianne, une "primaire d'idées", la maire de Paris estime que François Hollande doit être candidat à sa réélection. "Je pense que c'est à lui d'assumer le bilan de son mandat", a-t-elle déclaré sur Europe 1.
Servie par une défaite de la gauche ? Celle qui juge que "sauf miracle, il y aura une alternance" en 2017 miserait-elle, en réalité, sur la défaite de son propre camp ? C'est ce que sous-entend le conseiller de Paris LR, Pierre-Yves Bournazel. "Peut-être rêve-t-elle d'incarner la relève au PS au lendemain" de la présidentielle, a-t-il déclaré au JDD. De fait, si la gauche perd l'Élysée l'an prochain, elle risque également d'être réduite à peau de chagrin lors des élections législatives. En place à la mairie de Paris jusqu'en 2020, Anne Hidalgo deviendrait de facto une responsable socialiste de premier plan. Ce qui pourrait lui servir de tremplin pour prendre le parti, ou abattre ses cartes en 2022. Même si la principale intéressée refuse catégoriquement de dévoiler de quelconques ambitions politiques nationales. "Je ne sais pas ce que je ferai", affirme-t-elle à VSD. "On verra. J'adorerais m'occuper d'une grande organisation internationale ou me mettre au service d'une grande ONG."