Le texte visait à renforcer la loi Littoral… Il s’est transformé en moyen de l’assouplir. L’Assemblée nationale discute à partir de mardi en seconde lecture d’une proposition de loi PS destinée, à l’origine, à adapter les territoires littoraux au changement climatique. L’objectif initial : renforcer la lutte contre l’érosion, qui grignote chaque année plusieurs centimètres (voire mètres) des côtes de quelques 303 communes françaises jugées particulièrement menacées. Mais après un passage au Sénat, cette proposition de loi s’est transformée en tentative d’assouplir les règles de construction aux abords des plages.
- Ce que contient la proposition originelle
Technique, la proposition de loi initiale vise une meilleure prévention du recul du trait de côte. Elle l'intègre par exemple dans les risques devant faire l'objet d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles. Elle incite à une meilleure information des populations, notamment dans l'immobilier. Elle prévoit, en outre, de proposer des baux particuliers pour des durées limitées dans les zones concernées. Elle ouvrait également la voie à un dispositif d’indemnisation des habitants dont les habitations sont menacées.
- Comment le Senat a détourné la proposition
Mais le Sénat, à majorité de droite, a profité de cette proposition pour assouplir la loi Littoral, qui limite drastiquement la possibilité de construire des bâtiments dans certaines zones côtières protégées. Les sénateurs ont voté un amendement proposant notamment d’autoriser le comblement des "dents creuses". En clair, il s’agirait d’autoriser les constructions sur des parcelles situées entre deux terrains construits dans un même hameau. S’ils ne remettent pas en cause l’interdiction de construire des résidences ou des grands parcs immobiliers, les parlementaires ont aussi adopté une mesure pour permettre la création "de zones d’activités économiques" non pas directement sur les plages, mais sur certaines zones attenantes actuellement protégées.
"Il ne s'agit pas de remettre en cause la loi littoral, texte protecteur des paysages, mais de l'adapter aux nouveaux enjeux des espaces littoraux et de répondre aux difficultés rencontrées par les élus locaux pour aménager leur territoire", a souligné l'auteur de l'amendement, Philippe Bas (LR, Manche).
- Un amendement qui passe mal
Une pétition intitulée "Ne touchez pas à la loi littoral !" a déjà enregistré plus de 160.000 signatures en deux semaines, dont celles de Nicolas Hulot, Yann Arthus-Bertrand ou de la navigatrice Isabelle Autissier. Les modifications apportées par le Sénat "vont à l'encontre des objectifs de la loi initiale concernant l'évolution du trait de côte, en donnant la possibilité de davantage urbaniser le littoral, fragilisant ainsi les équilibres écologiques, socio-économiques et paysagers de ces espaces sous pression", dénonce également la Fédération des Parcs naturels régionaux de France, interlocuteur officiel de l’Etat et des collectivités pour les politiques liées aux parcs naturels.
Le sénateur LR Jérôme Bignon, ancien président de l’Agence des aires marines protégées, s’est lui aussi "désolidarisé" de l’initiative de ses collègues de la majorité sénatoriale, rapport Le Monde. Il ne veut pas "contribuer à ouvrir la boîte de Pandore".
- Comment réagissent les députés ?
Le texte est donc de retour mardi à l’Assemblée, à majorité socialiste. En commission du Développement durable, plusieurs députés de droite ont défendu, la semaine dernière, la mesure de leurs partenaires du Sénat. "Ils ont su briser un tabou", argumente le député de Mayenne LR Guillaume Chevrollier interrogé par le quotidien du soir. Quant au député socialiste Pascal Got, auteur de la proposition de loi initiale, il s’est montré ouvert à quelques modifications. "Je veux bien faire une avancée sur les constructions en discontinuité pour les activités agricoles, forestières ou ostréicoles afin de faciliter l’installation de jeunes exploitants ; voyons aussi si on peut s’entendre sur la définition de ‘dents creuses’", a-t-il défendu. Une main tendue qui risque de ne pas plaire aux opposants à l’amendement sénatorial, qui demandent un strict statu quo.